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le devoir

trop… j’ai peur… » et comme je demandais grâce, vous vous êtes mise à genoux devant moi et vous m’avez imploré…

Elle, écoutait, son corps chétif perdu dans le fauteuil. La clarté livide de la lampe accusait ses rides et jaunissait encore le parchemin fripé de son visage. De temps à autre sa toux la secouait, et elle serrait un fichu contre sa poitrine. Les dernières paroles de Chabreuil semblèrent l’éveiller. Elle se dressa et, avec un accent de triomphe, elle répliqua de sa voix chevrotante :

— Et vous êtes parti, Henri, vous êtes parti bravement, pour toujours, et c’est ce qui nous permet de parler de notre amour, et de ne pas rougir. Ah ! mon ami, laissez-moi vous remercier, je suis si heureuse, c’est si bon de n’avoir rien à se reprocher, de regarder derrière soi et de ne point voir d’ombre sur le chemin qu’on a suivi. Si nous avions succombé, Henri, avec quelle honte je paraîtrais devant vous. Ces choses-là ne s’effacent pas. Et puis, c’est beau et grand ce que nous avons fait. Une action comme celle-là illumine toute une vie.

Il répondit, l’air songeur :

— C’est vrai, cela vaut mieux ainsi, on se