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le devoir

la nuit. Au salon, Mme d’Estainville chantait. Alors ils rentrèrent et s’installèrent l’un près de l’autre, loin de la lampe.

Et longtemps ils se tinrent là, parlant à peine, tout entiers à ce passé qui remontait soudain à la surface de leur existence. Un à un surgirent les souvenirs ensevelis, lentement ressuscita tout cet amour mort, mort depuis quarante années. Jour par jour, s’écoulèrent les deux mois de printemps où leurs âmes s’étaient mêlées, où leurs chairs avaient frissonné de désir. Et aussi revint l’heure des adieux, avec tous ses détails précis et cruels, cette heure d’héroïsme surhumain où, près de défaillir, se sentant lâches et faibles, ils s’étaient quittés sans même donner à leurs lèvres la joie d’un seul baiser.

M. de Chabreuil murmura :

— Je me souviens si bien… Il y avait un arbre devant la croisée ouverte, un arbre — je ne sais plus lequel — qui égrenait des fleurs blanches, blanches comme des flocons de neige. Sur cet arbre des oiseaux jouaient. Et il flottait une odeur douce de chèvrefeuille. Vous m’avez dit — je me rappelle même votre intonation — : « Henri, il faut nous séparer… je vous aime