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roméo et juliette

Comment suis-je parvenu si haut, comment suis-je descendu si bas, c’est tout un drame, un drame sublime et grotesque.

Le début en est simple, presque banal. J’étais clerc de notaire à Lillebonne, lorsqu’une troupe de passage vint donner une série, de représenta fions. Je me pris d’un amour violent pour la jeune première, Lucie Hamel, et je m’engageai. On m’accorda cinquante francs par mois, et les voyages commencèrent.

Longtemps, je ne saurais expliquer pourquoi, je n’osai déclarer ma passion. Une timidité inconcevable me retenait, d’autant plus puérile que, régulièrement, à la sortie, Lucie retrouvait quelque godelureau qui l’attendait et l’escortait. Que de fois je l’ai suivie jusque chez elle, que de fois je me suis posté sous les fenêtres, épiant les ombres, me figurant toutes les phases de cette prostitution. Lorsque l’individu la quittait, une envie monstrueuse me prenait de sauter sur lui ; je suis d’une force peu commune, je l’aurais étranglé.

Des mois, des mois de torture atroces et de jalousies odieuses, j’ai gardé le silence par crainte d’un refus, d’un éclat de rire. Puis, un soir,