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roméo et juliette

tendant vers leurs lèvres. Et certes ils désirent de tous leurs désirs cette comédienne qu’ils sont obligés d’embrasser ; car, après tout, nos baisers sont toujours des baisers, et la chair qui les reçoit est de la chair qui vibre et qui palpite. Et s’il en est, parmi ceux-là, qui aiment cette femme, pensez au supplice de la presser contre soi, et cependant de rester calme, indifférent. Ils la regardent, ils l’entendent, ils l’étreignent, et c’est tout : le spectacle fini, elle s’en va, sans un sourire, sans un adieu, accompagnée de son amant, du premier venu souvent. Et cela chaque soir, pendant des mois… C’est ce supplice que j’ai enduré.

Et le vieux Mourval empoigna le carafon de cognac et s’en versa un plein verre qu’il but d’un trait. Puis il se leva, et d’une voix emphatique, avec des gestes nobles et pompeux et des attitudes à effet, il déclama cet épisode étrange de sa vie :

— J’ai été jadis un grand tragédien, et je puis le dire orgueilleusement, j’ai atteint, dans certaines pièces, les plus grands tragédiens de mon temps. Ma célébrité, hélas ! fut courte, mais elle n’en fut pas moins réelle et méritée.