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un amour

Trois nouvelles années défilèrent. Cette solitude absolue, le silence apaisant des bois et des champs, cet engourdissement de leur être loin de toute société, leur épargnèrent les aspérités des trop grandes joies et des trop grandes douleurs. Leur somme de bonheur respective s’égalisa. C’était comme un niveau que la monotonie des jours passait sur leurs facultés de jouir et de souffrir, et ils se courbaient à leur insu, sous le poids d’innombrables habitudes.

Même la jalousie de Civialle s’atténua, non qu’elle le martyrisât moins, mais l’accoutumance au mal l’empêchait de sentir l’acuité de sa blessure.

Puis son enfant le distrayait. Georges, en grandissant, lui témoignait plus d’affection qu’à M. Terrisse, et il en concevait un orgueil naïf. Un sentiment obscur, dont il niait jusqu’alors la possibilité, l’attachait à cet être né de son sang, acquérait une importance qui l’étonnait lui-même. À mesure que le petit avançait en âge, ce sentiment se précisait, et Jacques, en l’analysant, y notait la vanité du mâle qui a procréé, la satisfaction de l’homme qui n’a pas arrêté le grand courant de vie descendu de ses