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raccrocha et déclara, de sa voix la plus traînante :

— Le sieur Gérard n’est arrivé à la pension, où il y avait un machin… Enfin quoi un bal, un bastringue… que vers deux heures. Et, il avait une poule avec lui… Une poule en blanc et rouge… Même qu’ils étaient ensemble comme deux tourtereaux… C’en était émouvant.

— Qui était cette personne en blanc et rouge qui vous accompagnait ? demanda le juge d’instruction.

— Je ne peux pas le dire, répondit Gérard, avec une décision qu’on sentait immuable.

— Toujours la dame à ne pas compromettre, ricana Nantas. C’est beau, la galanterie française.

— Et de onze heures et demie, heure où vous êtes parti d’ici, à près de deux heures où l’on vous a vu à ce bal de la Pension russe, qu’avez-vous fait ? demanda M. Lissenay.

— Je ne peux pas le dire, déclara Gérard avec la même fermeté.

Le juge d’instruction prit un temps.

— Donc, prononça-t-il lentement, aucune réponse précise. De mon côté, je dois appeler votre attention sur ce fait : vous êtes la dernière personne qui ait vu Baratof vivant, le garçon de l’étage est à peu près catégorique. De garde à l’office, il apercevait la porte de l’appartement. Personne n’est entré après que vous en êtes sorti… y laissant Baratof avec qui vous veniez d’avoir une querelle violente…

Gérard ne répondit pas tout de suite.

— Si je vous comprends bien, monsieur le juge d’instruction, dit-il enfin d’une voix calme, dans votre idée, j’aurais, avant mon départ, tué Baratof ?

— Je n’ai aucune idée, répliqua, parfaitement calme aussi, M. Lissenay. Je cherche la vérité. Et je constate qu’il y a eu discussion violente et bataille entre vous et Baratof avant votre départ. Je constate qu’après votre départ, personne n’est entré chez Baratof, et, quelques heures plus tard, Baratof a été trouvé assassiné. Je constate, en outre, que vous vous refusez à donner l’emploi de votre temps pendant les deux heures et quart qui ont suivi votre départ d’ici. Il fallait un quart d’heure pour gagner la Pension Russe. Restent deux heures. Vous persistez à refuser de dire ce que vous avez fait pendant ces deux heures ?

— Je persiste à refuser.

Il y eut un silence.

Nantas se leva. Il s’approcha de Gérard, lui mit la main sur l’épaule et se penchant pour le regarder de près dans les yeux :

— Voyons… Et la pochette que t’as prise dans le gilet, et les billets que t’as pris dans le portefeuille, et les bijoux que t’as pris dans les valises, tu veux pas dire où tu les as planqués ? Pas si bête, hein, que de les porter dans ta chambre ! T’as été les mettre en lieu sûr. C’est ça l’em-