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c’est sûr et certain… Oh ! certes, on n’a pas touché les vêtements, mais ce Baratof, d’après mes petits renseignements, avait toujours des bijoux, des objets de valeur, des choses de Russie, n’est-ce pas ?… Et on s’est cassé le poignet dessus… Y a plus rien… Du reste, si vous voulez venir voir le corps… Je ne me suis pas permis de le fouiller avant vous.

— Allons ! dit M. Lissenay.

Ils gagnèrent la chambre à coucher où le corps de Baratof reposait sur le lit. Nantas se pencha sur lui.

— Tiens, tiens, tiens, le gilet a été déboutonné, et bien brutalement. Il y a un des boutons qui a sauté. Voyons… pas de poche intérieure, au gilet ? Mais si… mais si… Et bien intéressante la poche de droite, bien intéressante !… La patte est déchirée… et, monsieur le juge, voyez-moi comme la poche est distendue, comme ses bords sont décousus !… Cette poche-là a contenu quelque chose de trop gros, de trop large, qui l’écartelait et la déformait, et qu’on a arraché violemment. Qu’est-ce que ça pouvait être ? Des billets de banque… oui, peut-être… mais, pas probable… pas probable… Voyons maintenant le portefeuille.

Il fouilla le smoking, en tira un élégant portefeuille qu’il passa à M. Lissenay. Celui-ci en inventoria le contenu.

— Pas d’argent, dit-il, des papiers, mais pas d’argent. Il y a eu vol.

— C’est sûr, monsieur le juge. Il était en smoking et allait sortir. On ne sort pas sans beaucoup d’argent quand on est Baratof… Le carnet de chèques est intact… Évidemment, comment s’en servir ? et c’est compromettant. Mais, qu’est-ce qu’il pouvait y avoir dans la poche du gilet ?… Des billets de banque… pas probable. Pourquoi entasser des billets de banque dans la poche de son gilet quand on a un carnet de chèques et qu’on vient de Londres où on a pu changer tout ce qu’on a voulu ?…

M. Lissenay examinait les papiers de Baratof. Nantas se dirigea vers la table où se trouvait toujours le carnet d’adresses que, dans la nuit, Mme Destol avait eu, seule, l’initiative de consulter.

— Tiens, tiens, tiens, dit l’inspecteur principal, ça, c’est peut-être du bon.

Il prit le carnet, en tourna les pages, l’une après l’autre.

— Tiens, tiens, tiens, redit-il tout à coup, monsieur le juge, regardez-moi cette page-là… Hein ? c’est la liste des papiers qu’il a apportés, et regardez-moi la mention qui est là, soulignée à l’encre rouge pochette ? Où est-elle, cette pochette ? J’en sais rien, mais je sais où elle était. Elle était dans le gilet. Et elle devait contenir quelque chose de précieux pour que Baratof la garde toujours sur lui, et c’est pour la lui voler qu’on l’a assassiné. Vous permettez, monsieur le juge, que je regarde encore un petit peu ce carnet ?… Je ne sais vraiment pas pourquoi on n’a pas pensé à le regarder plus tôt. C’est un truc plein de renseignements.

Sous l’œil amusé de M. Lissenay, l’inspecteur principal Nantas continua à feuilleter attentivement le carnet.

— Tiens, tiens, tiens, répéta-t-il, je crois que voilà une petite indication sur l’ami du dîner, le jeune homme brun, le sieur Gérard… ça le concerne, ça, le sieur Gérard : « De Londres, télégraphier à Gérard confirmation de mon arrivée pour le huit mai. Pension russe à Auteuil. » Nous y sommes, je la connais, cette Pension russe… C’est une drôle de boîte…

Nantas, vous êtes précieux. Allez-y voir sans retard, dit le juge. Et…

— Et je cueille le sieur Gérard et je vous l’amène en douce, monsieur le juge… À moins qu’il ne soit déjà envolé… Viens avec moi, Victor.

Il s’adressait à un de ses sous-ordres, un homme trapu d’une quarantaine d’années.

Tous deux sortirent.