Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle était si troublée qu’elle prit machinalement la coupe de champagne qu’il lui tendait, y trempa ses lèvres, puis la but en partie. Et Gérard poursuivit :

— C’est alors, après avoir réussi une mission en Russie, et quand je me suis retrouvé hors de l’enfer, qu’il m’est tombé sous les yeux cette revue France-Pologne qui reproduisait vos trois portraits. Enfin, je connaissais Nelly-Rose, et toute ma vie prenait son sens véritable.

Elle murmura :

— Et vous m’avez écrit…

Gérard hésita. Bien que sa conduite avec Nelly-Rose ne fût qu’un mensonge dont il avait conscience, mais que lui masquaient ses habitudes de séducteur, il répugnait au mensonge formel des mots et des affirmations.

— Et je suis venu, dit-il. Votre proposition était étrange, mais que m’importait ? Je voulais vous voir, entrer en relations d’une manière ou d’une autre avec vous. Je sentais qu’il y avait autre chose que l’explication ambiguë qu’une telle proposition pouvait suggérer. Oui, même tout à l’heure, dans votre boudoir, quand je vous ai paru brutal… au fond de moi, cependant, je ne doutais pas de votre pureté. Et votre révolte, que j’attendais presque, m’a ravi…

— Mais, cet après-midi, fit-elle, quand vous êtes venu près du laboratoire ?…

— Je vous l’ai dit. Je voulais vous voir…

— Et chez ma mère ?… Comment avez-vous su que nous recevions ? Pourquoi ne vous êtes-vous pas présenté ?

— Je voulais seulement encore vous revoir. Je vous avais vue entrer chez vous. J’ai appris, par votre concierge, qu’il y avait une fête et je n’ai pu m’empêcher de monter… Et je vous ai revue… je vous ai plus encore admirée. Vous étiez si belle ! Chacun de vos gestes incarnait pour moi toute la grâce féminine. Je n’ai pu résister au désir de danser avec vous. Je n’ai pu résister à cette joie, inattendue, si délicieuse et si enivrante, de vous tenir quelques moments dans mes bras. J’étais pour vous alors entièrement un inconnu, mais vous ne m’avez pas repoussé, et j’ai senti que vous ne m’étiez pas hostile. L’union s’établissait entre nous, l’union douce, particulière, profonde quoique superficielle, qui s’établit entre un homme et la femme qui danse avec lui sans déplaisir. Est-ce vrai ?…

Nelly-Rose ne répondit pas et, après un moment :

— Vous n’auriez pas dû entrer dans mon boudoir…

— Non, je n’aurais pas dû. Mais là non plus, je n’ai pu résister au bonheur de connaître tout de suite l’endroit où vous viviez… où le soir je vous verrais…

— Mais vous n’étiez pas sûr de me voir ce soir. Je pouvais me dérober.

— Une femme comme vous ne manque jamais à un engagement pris…

Elle rêva un moment, les yeux perdus. L’orchestre avait interrompu les danses, le chant nostalgique des Bateliers de la Volga s’élevait. Nelly, instinctivement, prit devant elle la coupe de champagne que Gérard venait de remplir. Elle but. Elle écoutait le chant qui se prolongeait dans le silence, soudain établi autour d’eux dans le hall. Elle acheva la coupe.

Gérard l’observait. Sans qu’elle le vît, il remplit la coupe, il appela le maître d’hôtel qui les servait et lui donna de rapides instructions que le maître d’hôtel alla répéter au chef des musiciens de l’orchestre.

Le chant venait de finir. Dans la vaste salle l’animation reprenait, plus trépidante, plus désordonnée d’avoir un moment été contenue.

— Vous ne buvez pas ? dit négligemment Gérard.

— Mais si, je bois… Voyez !