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laissait nus ses bras et ses épaules et, dans l’émotion qui l’animait, elle était plus jolie que jamais…

Elle vint s’asseoir sur son divan. Cet homme allait arriver. Elle essayait de se répéter qu’elle ne courait aucun danger, que rien de fâcheux n’aurait lieu, que cet homme viendrait, qu’elle le recevrait comme elle l’avait promis, qu’elle lui expliquerait la situation fausse, l’erreur, et qu’il partirait…

Mais, tout à coup, elle tressaillit et une émotion nouvelle, où il y avait de la peur et de la pudeur, fit monter le sang à ses joues. Elle se souvenait d’une clause du traité avec le Russe, d’une clause qu’il avait stipulée dans la première lettre et qu’elle avait acceptée en acceptant involontairement le chèque. Cette clause, que Mme Destol ne connaissait pas, et dont Nelly-Rose elle-même n’avait pas eu souvenir jusqu’à cet instant, puisque la lettre de tout à l’heure ne la rappelait pas, c’était la durée de la visite…

Elle s’était engagée à recevoir Baratof de minuit à sept heures… Toute une nuit !… Ce n’était plus une simple visite, bizarre, insolite, mais à la rigueur explicable si elle était brève. C’était toute une nuit. Toute une nuit que, selon leurs conventions, cet inconnu devait passer avec elle, dans son boudoir. Et si elle s’y refusait, si elle le renvoyait, à quoi bon avoir tenu la première moitié de sa parole ? Alors, les conséquences ?… Elle aurait fait cela ?… Elle aurait cette tache dans sa vie ?… cette tache qui ne s’effacerait pas et qui pourrait, peut-être, si elle aimait un jour, détourner d’elle celui qu’elle aurait choisi ? Une nuit avec un homme ?… Ah certes ! elle était sûre qu’il la respecterait… Du reste, à la moindre tentative… Mais, le souvenir de l’assaillant de tout à l’heure, de la brute ivre du chemin d’Enghien, la hérissa de dégoût et de terreur. Allait-elle risquer une attaque de ce genre ? Et si elle n’ouvrait pas ?… Mais non, elle avait promis, elle était engagée…

Sa pensée s’égarait. Ah ! Dieu que cette musique, là-bas, qu’elle écoutait malgré elle, était énervante ! Elle alla repousser la porte et revint s’asseoir…

Minuit ! il n’était pas là… Il ne viendrait peut-être pas… Et, après tout, elle était folle de se laisser dominer ainsi par ses nerfs, par cette anxiété de l’attente. Si cet homme venait, elle lui expliquerait. Il comprendrait et il partirait. Voyons, elle n’avait rien à craindre… Elle craignait pourtant !

Encore une minute… une autre… une autre… une autre… le visage de Nelly-Rose s’éclaira… Minuit cinq… Il ne viendrait plus…

— C’est lui, murmura-t-elle en se dressant soudain, pâlissante.

Le timbre de la porte vibrait.