Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— À peu près, dit Gérard.

— Les colliers, tu les as ?

— Oui, Baratof.

— Donne-les moi !

— Tout à l’heure, ils sont dans un de mes sacs.

— La liasse de titres ?

— La voici !

Gérard montra la pochette qui contenait les titres. Une lueur de cupidité triomphante alluma les petits yeux de Baratof qui s’en empara.

— Tu es épatant ! dit-il.

Et il demanda encore, mais négligemment :

— Et la petite ?

Gérard, cette fois, ne répondit pas. Se dirigeant vers la troïka, il y déposa ses besaces et le sac contenant l’enfant toujours immobile et muette. Il s’établit auprès de Baratof qui venait de s’asseoir et qui saisissait les guides. Le paysan, resté impassible, lâcha les chevaux qui s’élancèrent impétueusement.

La fermière attendait dans sa charrette. Mais Gérard oublia tout à fait de retourner vers elle et de lui donner le baiser d’adieu.



IV

Deux associés


À travers l’étendue neigeuse, malgré le brouillard et la nuit qui venait, la troïka, guidée par la main sûre de Baratof, filait vite. Gérard restait silencieux, mais Baratof reprit la conversation :

— Alors, mon message t’est bien parvenu ?

— Comme tu vois, puisque j’ai fait ce que tu voulais.

— Le plan était clair, hein ? Les indications précises ?

— Oui, suffisamment !

— Je te félicite encore, une expédition pas commode.

Gérard eut un geste d’indifférence. Baratof reprit :

— Avant d’allumer le signal, je m’étais mis d’accord avec les agents polonais… Oh ! sans leur dire ce qu’ils n’avaient pas besoin de savoir.

Il eut un rire silencieux et, après un autre silence :

— Ils nous attendent chez moi, tu sais…

— Qui ça « ils » ? demanda Gérard.

— Eh bien, mais nos deux… comment dire ?… clients… La comtesse Valine, d’abord. Elle est arrivée à la ville il y a deux jours… Elle est descendue à l’hôtel, mais elle passe son temps à venir me demander s’il n’y a rien de nouveau, si je crois que tu réussiras ? Elle est folle d’inquiétude… Dame, c’est tout ce qui lui reste au monde… sa fille et ses cinq rangs de perles…

— Elles valent une fortune, ces perles, dit Gérard.

— C’est vrai, tu t’y connais aussi… Elles sont belles, tant mieux ! C’est un avantage pour tout le monde. Je suis d’accord avec la comtesse pour les conditions… Oh ! je ne l’écorche pas !…

Il eut de nouveau son rire silencieux. Gérard lui jeta un regard de côté, mais ne dit rien.

— Alors, tu penses, son anxiété à cette femme ! continua Baratof. Elle ne vit plus… Vrai, en dehors de la question d’affaires, elle m’intéresse. Tu comprends, on ne peut pas voir une femme jolie comme elle…

Gérard, cette fois, haussa les épaules.

— Elle est si jolie ? demanda-t-il sèchement.

Baratof à son tour lui jeta un regard de côté.

— Oui, dit-il sèchement aussi.

Mais il voulait ménager son compagnon et demanda d’un ton aimable :

— Et pour l’autre de même, tu as naturellement réussi ? Oui, pour le vieux qui attend son bric-à-brac ? Il est à la villa aussi, tu sais, et c’est encore un numéro ! Ça a vraiment de la valeur son trésor, comme il dit ?

— Une très grosse valeur. Lui non plus, tu ne l’écorches pas ? demanda Gérard avec ironie.

— Tu as toujours le mot pour rire, dit Baratof pincé.