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Mme Destol, sans se rendre compte des tourments jaloux qu’il éprouvait, s’accrocha, non sans maladresse, à cet espoir qu’il formulait et auquel, malgré tout, elle ne croyait guère.

— En effet, en effet, Valnais, vous avez raison de l’excuser et de l’absoudre. Elle est inconsidérée, elle se laisse aller à des imprudences qui semblent coupables… mais il ne faut pas lui en tenir rigueur. Mariée avec vous, elle sera sage. Mais où est-elle à présent ? Mon Dieu, où est-elle ? L’heure passe… Valnais, mon ami, je suis sûre qu’elle veut vous épouser… Sans cela…

Elle s’interrompit, se dressa, pâle, crispée. Il y avait dans la serrure un bruit de clef. La porte s’ouvrit : Nelly-Rose entra.

— Ma petite ! Ah ! mon Dieu, ma petite ! C’est toi ! s’écria Mme Destol.

Et, succombant à de longues émotions, elle s’affaissa sur le divan, en proie à une violente crise nerveuse.

Valnais se précipita, lui fit respirer de l’éther…

Stupéfaite d’être accueillie ainsi, Nelly-Rose restait debout, immobile, sur le seuil. Elle balbutia :

— Mais qu’y a-t-il ? Mais qu’est-ce que cela veut dire ?

— C’est votre pneumatique et votre disparition… indiqua brièvement Valnais, absorbé par les soins qu’il donnait à Mme Destol.

— Mon pneumatique ? ma disparition ? répéta Nelly-Rose. Ah ! voyons, ce que j’ai écrit était clair pourtant !

Elle ne comprenait pas. Elle rentrait si joyeuse, affranchie de tout souci et de tout souvenir pénible ! Ces jours de solitude dans un quartier lointain, de vie régulière dans la petite pension où elle était inconnue, de calmes promenades à pied dans les vieilles allées du Jardin des Plantes, lui avaient fait tant de bien !

Mme Destol, cependant, revenait à elle. Elle se dressa, prit sa fille par le bras, la regarda dans les yeux et lui dit avec solennité :

— Nelly-Rose, mon enfant, maintenant il faut me dire la vérité… Depuis trois jours, je ne vis plus. Je veux savoir, ma petite fille ! Dis-moi ce qui s’est passé entre toi et ce misérable pendant cette horrible nuit !… Valnais, dites-lui qu’il faut qu’elle avoue la vérité !

Mme Destol s’arrêta. Elle fixait sur sa fille des yeux suppliants. Valnais fit un geste d’impuissance désolée.

Nelly-Rose, assise en face d’eux, se mit à rire.

— Ma pauvre maman, mon bon Valnais, ne soyez pas si tragiques…

Mme Destol eut un mouvement d’impatience :

— Je ne suis pas tragique, Nelly-Rose… Je suis une mère angoissée… Ma pauvre petite, je ne t’ai peut-être pas toujours montré assez mon affection. Je ne t’ai peut-être pas assez surveillée. Je ne t’ai peut-être pas suffisamment mise en garde contre les hommes, qui sont tous des misérables ! — pas vous, Valnais, vous êtes l’exception. Hélas ! Nelly-Rose, j’en suis bien punie !… Mais parle, dis-moi la vérité… que s’est-il passé ?…

Nelly-Rose était toujours souriante :

— Eh bien maman, puisque tu tiens à le savoir… En cette nuit mémorable, j’ai eu une conduite très dévergondée et très innocente en somme… avec ce misérable, comme tu dis, qui n’est pas du tout un misérable, j’ai couru les bals publics, ou à peu près publics, j’ai bu du champagne, j’ai suscité l’admiration d’ivrognes moscovites contre lesquels il m’a défendue… Et après, il m’a emmenée dans sa chambre.