Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rieux, pour célébrer ce qu’elle appelait mon beau geste, a envoyé un article à la revue France-Pologne qui l’a publié avec trois de mes photographies… et un chiffre… cinq millions… J’avais l’air de m’offrir pour cinq millions… Je l’ai compris après… Un Russe, M. Ivan Baratof, m’a écrit de Pologne. Il me demandait de le recevoir, dans mon boudoir, de minuit à sept heures, seule, et m’envoyait un chèque de cinq millions que je devais déchirer si je n’acceptais pas.

Par suite d’un malentendu entre le président de notre société et moi, le chèque a été touché, m’engageant… Hier, apprenant que M. Baratof était arrivé, et désirant avoir avec lui une explication loyale, je lui ai téléphoné ici vers quatre heures pour lui dire que je viendrais le lendemain au matin, donc, ce matin. Un de ses amis m’a répondu qu’il n’était pas arrivé. Le soir à neuf heures, j’ai reçu une lettre de M. Baratof, m’enjoignant d’avoir à tenir ma promesse et de le recevoir à minuit dans mon boudoir. J’ai horreur de la déloyauté. Je craignais d’avoir l’air d’une aventurière ayant soutiré cinq millions. J’étais engagée et me suis décidée, malgré les efforts de mes proches, à tenir mon engagement.

Tout le monde avait écouté dans le plus grand silence la jeune fille. Après une pause, elle reprit :

— Hier aussi une autre personne est intervenue dans ma vie… monsieur. (Elle désigna de nouveau Gérard.) Devant la Maison des laboratoires, il m’a attendue sans que j’aie, moi, le moindre soupçon de son existence. Il est intervenu dans un incident avec un chauffeur de taxi. Il m’a suivie jusqu’au garage où j’ai remisé ma voiture, et l’après-midi, à une matinée que donnait ma mère, il s’est permis de se présenter et de m’inviter à danser. Le soir…

— Le soir ?…

— Le soir, j’ai attendu, puisque j’avais promis à M. Baratof de le recevoir à minuit. On a sonné, j’ai ouvert et j’ai eu la stupeur de me trouver en présence de monsieur. Il m’a dit qu’il s’appelait Ivan Baratof, m’indiquant d’ailleurs que ce n’était qu’un nom de guerre et qu’il était français. Pas une seconde, je n’ai pensé à une supercherie. Ayant vu mes photographies, il était venu à notre réception de l’après-midi pour me rencontrer et n’être pas pour moi tout à fait un inconnu. Il a été d’une extraordinaire adresse. Comme sa présence, chez moi, à cette heure, m’était un supplice, il m’a offert, ce que j’ai pris alors pour de la générosité, de sortir avec lui. J’ai accepté avec un sentiment de délivrance. Il m’a emmenée — une voiture l’attendait — à un bal russe à Auteuil.

— C’était vous la jeune femme en rouge et blanc qui l’accompagnait ? dit le juge.