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De devoir, d’ailleurs, elle n’en acceptait qu’envers sa beauté, envers son visage sans rides, envers sa taille admirable, que n’avait jamais déformée l’odieuse maternité. Et ils en étaient arrivés à vivre, l’un auprès de l’autre, comme deux étrangers, que chaque jour éloigne l’un de l’autre, et que ne peut plus rapprocher aucune émotion commune.

Cependant, elle éprouva un certain trouble lorsqu’elle apprit que la sixième compagnie devait retourner aux tranchées dans la nuit même, et sans doute participer à la prochaine attaque que l’on annonçait de tous côtés. Ce fut un sergent qui la renseigna et qui la conduisit à la ferme occupée par la section du lieutenant Daubrée, Là, on lui dit que le lieutenant avait été appelé au poste du commandant, mais qu’il allait revenir d’un moment à l’autre.

La chambre où il couchait se trouvait au premier étage. Elle y monta.

C’était une bien pauvre chambre un réduit plutôt, garni d’une mauvaise paillasse et dont l’aspect misérable la toucha. Pour la première fois elle pensa, d’une façon un peu réfléchie, et comme la chose le méritait, que Richard s’était bien battu jusqu’ici et que sa conduite lui avait valu son grade, une citation, la Croix de guerre. Son mari lui apparut comme une être nouveau, qui menait une existence incompréhensible et qui comptait parmi cette foule de soldats dont on exaltait l’héroïsme dans les journaux. Elle n’avait jamais imaginé cela, et elle s’en apercevait tout d’un coup avec un petit tremblement au cœur et, aussi, avec une sorte de gêne à se trouver là, elle, en robe trop élégante, le visage trop frais, les cheveux ondulés et les mains parfumées. Sa beauté et sa grâce lui semblaient des choses embarrassantes. Elle se sentit rougir.