Page:Leblanc - Contes Heroïques, parus dans Le Journal, 1915-1916.djvu/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Vins, Liqueurs et Spiritueux



Blessé à la tête, Victor Quimbel tomba. Les troupes avaient couru trop vite à l’assaut des positions ennemies et, mal soutenues, revenaient sur leurs premières lignes.

Il y avait eu un peu de désordre, de sorte que certaines compagnies, appartenant à des unités différentes, s’étaient mêlées. Quelques hommes, laissés en arrière-garde, se battirent auprès de Victor, puis lâchèrent pied. Pourtant l’ennemi ne semblait pas poursuivre. La nuit approchait.

Aveuglé par le sang, se croyant près de mourir, Victor dit adieu à son père et à sa mère. Il les voyait distinctement dans la petite maison de province où ils tenaient une boutique de « vins, liqueurs et spiritueux » : sa mère, grande, forte, active ; son père, petit, gros, d’une santé mauvaise et qui demeurait toujours assis derrière le comptoir. Ils pleuraient en apprenant sa mort, et de cela surtout il était triste, car tous trois s’aimaient beaucoup, bien qu’ils ne fussent point de ceux dont la tendresse s’exprime en paroles et en lettres affectueuses.

Une plainte cependant qui s’élevait, à quelque distance, d’un entonnoir où gisaient une douzaine de cadavres, le tira de sa rêverie, et il se rendit compte alors qu’il avait gardé toute sa conscience et que sa blessure ne devait pas être bien grave. En effet, il put se bander la tête d’un linge. Le sang ne coula plus. Et, d’aplomb sur ses jambes, il marcha vers l’entonnoir.