Page:Leblanc - Ceux qui souffrent, recueil de nouvelles reconstitué par les journaux de 1892 à 1894.pdf/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fille pour servir le thé. Marthe s’acquitta de sa tâche vivement et sans bruit, puis se retira dans un coin.

Jugeant utile une entrée en matière brusque, je m’approchai et lui dis :

— J’ai le plaisir, mademoiselle, de vous rencontrer tous les jours à la Promenade.

Elle rougit. Nous échangeâmes quelques phrases, et le ton dont elle répondait fortifia mon impression. Sa voix trahissait cette sorte d’hésitation que provoque une défiance instinctive. Elle semblait étonnée, presque alarmée de ma démarche.

Mon intérêt redoubla. Pour ne pas l’effaroucher, je m’abstins de toute question et parlai seul, comme à une personne capable de comprendre les choses sérieuses dont on l’entretient. Elle écoutait, attentive en effet.

Madame Astrado nous dérangea.

— Vous essayez de la distraire, monsieur ? Si vous y réussissez, je vous proclame un grand magicien, elle est toujours si triste !

Je regardai Marthe. Elle tâchait de sourire. Puis quand sa mère s’éloigna, elle courut après elle et, lui entourant le cou de ses deux bras, elle appuya sa tête sur l’épaule nue avec une câlinerie passionnée.

Ce geste m’a surpris. Il indique un besoin de tendresse qui déroute chez cette nature d’apparence froide et concentrée. Mais les paroles de madame Astrado me stupéfient davantage. Elles me prouvent que pour elle aussi la tristesse de Marthe est inexplicable, et que l’enfant cache le mystère de sa vie, sans que les consolations maternelles lui en adoucissent l’amertume.

Je serai donc le seul à déchiffrer cette énigme !


… Aussi souvent que les convenances le permettent, je retourne chez ces da-