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Puis un baiser me la livra. Je lui arrachai ses vêtements. Sa peau frissonnait au contact de mes doigts. Elle me serra contre elle de ses deux bras, en bégayant :

— Ah ! mon ami, je suis à toi, je t’aime…

Mais tout à coup je la repoussai brutalement, je me levai d’un bond et je m’abattis à ses pieds :

— Non, non, il ne faut pas cela ! Rappelle-toi, ma Fernande, j’ai promis.

Et d’un ton solennel, je déclamai :

— Quoi qu’il arrive, si grand que soit ton abandon, même si tu m’implores, je te refuserai. J’en ai fait le serment, tu te souviens ?

Elle sembla sortir d’un rêve et, prise d’une gêne subite, s’enveloppa de son manteau. Il y eut un silence. Puis des larmes lentes coulèrent de ses yeux. Et elle me dit :

— Je te rends grâce, aimé, toi qui m’as sauvée, ma vie entière t’appartient.

Je n’ai point senti de moquerie dans son remercîment, rien qu’une expression d’immense gratitude. Un orgueil monstrueux me souleva. Mon héroïsme me sembla grandiose.

Tandis que j’écris ces notes, les mobiles de mon action m’apparaissent clairement. La vérité s’impose à moi. J’ai voulu exalter son amour. La prendre ainsi ? La devoir a une défaillance passagère ? La banalité de cette possession m’a écœuré. Ce qu’il me faut, c’est le don réfléchi de sa personne. Je la veux tenir d’elle-même, et non d’une erreur de ses sens.

… Mensonge ! mensonge ! à moi aussi j’ai menti ! Là, sur ce papier que personne ne lira, j’ai menti ! J’ai menti pour qu’un jour, en feuilletant ces pages, je puisse encore m’illusionner : j’ai