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rent qu’une unique série de sons. Et tous deux ils eurent l’air d’attendre la réponse, et leurs yeux s’interrogeaient anxieusement.

Un projet subit heurta le vieillard. Il se souvenait d’un revolver enfoui dans les basques de son habit. Il ne trembla plus. Et doucement, furtivement, il fit glisser sa main en arrière.

Vision infernale ! l’autre exécutait un geste identique ! Il s’arrêta, l’autre de même. Il reprit, l’autre également. Et ils continuèrent leur manège, sans s’interrompre, les yeux immuablement rivés, des yeux pleins d’une haine féroce.

Les mains saisirent les pistolets, les bras revinrent en avant. Le comte aperçut en face de lui l’arme qui luisait. Son cœur battit. Et il discernait un bruit sourd et régulier : le cœur de l’autre battait aussi.

Des secondes passèrent, solennelles. Qui tirerait le premier ? Très vite les deux bras se détendirent. Un seul coup partit, une seule clarté jaillit.

Le comte tomba.

Au matin, quand M. de Francourt sortit de son évanouissement, il vit dans sa glace un trou net, étoilé de fêlures. Alors il se rappela sa débauche de la veille au cabaret. Et il comprit qu’en s’agenouillant, il s’était tourné vers son miroir et non vers son lit ; il avait eu peur de son propre reflet.