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— C’est lui, c’est lui…

Ces mots dissipèrent sa terreur, battement passager de ses nerfs. Il se mit à ricaner. Ainsi le paysan se décidait. Comme il devait souffrir ! Il le vit, devant le volet, les mains tremblantes, les jambes molles. Il se martyrisait les doigts. Du sang coulait. Quelle torture ! Il venait pour tuer, pour tuer le Haï !

Ces trois syllabes, Herledent les prononçait avec une volupté farouche. Le Haï ! On l’abhorrait donc bien implacablement, que sa mort parût l’unique vengeance !

Il n’eut même pas la tentation de s’enfuir. S’enfuir ? Où ? Redevenir le néant qu’il était ? Vivre sans haine ?

Pour vingt ans, pour trente ans d’existence, pour l’éternité, il n’aurait vendu les minutes effroyables qui s’enchaînaient dans l’ombre de cette nuit.

En bas le tapotement cessa. Le volet fut entre-bâillé. Pas un bruit n’échappait au vieillard. Son ouïe, tendue jusqu’à la douleur, atteignait à une acuité miraculeuse. Parmi le crépitement de la pluie et le fracas du vent, il distingua le cri de la vitre coupée, le glissement de la croisée, l’escalade de l’homme, le saut, sur le parquet, de deux pieds nus. Puis, plus rien. Coignard hésitait. Enfin des pas traversèrent la salle, un à un, à des secondes d’intervalle. La porte s’ouvrit. L’homme débouchait dans le vestibule, auprès de l’escalier. Il saisit la rampe, et l’ascension commença.

Elle fut interminable. Des marches craquaient. Herledent les connaissait. Haletant, il suivit l’approche lente. Il se tenait assis, hors du lit presque, les yeux fixes fouillant l’espace noir. Une joie inexprimable l’inondait, mêlée d’orgueil et d’anxiété. Comme il remplis-