Page:Leblanc - Ceux qui souffrent, recueil de nouvelles reconstitué par les journaux de 1892 à 1894.pdf/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son vin, caressaient son épouse, sans même songer qu’ils lui devaient au moins quelque gratitude.

Et femmes, rivaux, clients, parents, professeurs et camarades, n’agissaient nullement de parti-pris, en vertu d’une répulsion ou d’un plan méchamment combiné. Non. Le motif de l’immuable conduite, observée vis-à-vis de François, résidait en François lui-même. Il imposait l’indifférence.

Il possédait un visage quelconque, sans la bizarrerie d’un nez trop fort, ni le charme d’un nez bien fait. Ses gestes manquaient de vivacité, et de lenteur également. Il n’était point spirituel, mais point trop bête non plus. Il n’attirait l’attention ni par un excès de grosseur ni par un excès de maigreur. En un mot, l’ensemble de sa personnalité morale et physique exigeait qu’on l’ignorât, comme un objet inutile et sans valeur.

Il n’était rien. Et, torture inimaginable, il le savait.

Souvent, des révoltes intérieures le secouaient. Il voulait « se montrer ». Il tentait « d’être quelque chose », bon, mauvais, insolent, charitable, courroucé. On le regardait, puis on tournait la tête d’un air distrait. Et il retombait dans son silence, dans son néant.

Sa femme trépassa. L’enterrement le mit en vedette. Des gens le plaignirent. Il exagéra son chagrin pour augmenter la compassion. Au cimetière, il feignit l’évanouissement. On l’entoura. Il eut, là, quelques douces minutes.

De cet incident naquit un espoir. La déveine — il appelait ainsi la cause de son obscurité — renonçait peut-être à le poursuivre. C’est alors qu’il vendit son