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suspendait. Ces jambes se mêlaient aux siennes. Cette peau touchait sa peau, d’un contact absolu.

Il fit un effort suprême pour tourner la tête. Partout le couple se dessinait, identique. Il céda, revint à Paul, mais cette fois sa souffrance fut aiguë au point de lui arracher un sanglot. Malgré lui, malgré la honte qu’il en ressentait, invinciblement, ses yeux se souillaient…

Ses jambes fléchirent. Il s’assit sur le rebord du lit, le regard toujours fixe, comme agrippé. La possession de sa femme par un autre se matérialisait, et il éprouva dans toute son horreur la sensation précise de leur étreinte.

Des mots lui éraflèrent la gorge. Il eut voulu crier pour que cet homme s’en allât et que s’évanouît l’abominable spectacle. Ses mains se joignirent, se tendirent presque en un geste de supplication. Et des minutes, des minutes infinies passèrent, où il dut contempler en face de lui, l’amant de sa femme, nu.

À la fin, sa douleur trop excessive s’adoucit. La vilénie de son obsession l’écœura. Il baissa la tête.

Alors il se vit, lui. Il se vit pour la première fois, tel qu’il était, malingre et grotesque. Ses os crevaient la poitrine. Les côtes s’étageaient en cercles distincts avec des vallées et des trous et des ressauts. Les cuisses, toutes fluettes, formaient un arc et aboutissaient à des genoux dont la boîte bombait comme une grosse boule isolée. Et il avait une vilaine peau terreuse qui semblait toujours sale.

Une grande confusion l’emplit. Inquiet des sarcasmes que son pauvre corps devait susciter, il souhaita de le vêtir, de cacher sa laideur aux yeux d’autrui, à ses propres yeux même. Il en avait pitié comme d’une chose vilaine, déformée, en dehors des conditions normales.