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se défier un instant, tous deux l’air agressif. Puis, Paul, réprimant un sourire, tourna la tête, mit les mains sur ses hanches et se campa en une pose hautaine.

C’était un beau gars, de stature élevée et de visage mâle. Sa large poitrine respirait librement. Il avait un aspect souple et fort. Sous sa peau très blanche saillaient des muscles puissants. Il émanait de lui une telle sensation de beauté plastique que ceux qui l’entouraient, ouvriers ou paysans à l’intelligence grossière, en subissaient le charme, et le considéraient avec une curiosité inconsciente, comme un être à part, d’une matière et d’une forme autres que les leurs.

Et une souffrance bizarre montait en l’âme de Charles Ramel. Il ne pouvait détacher les yeux de ce corps maudit. Irrémédiablement, ils étaient rivés à ces lignes vigoureuses, ils s’accrochaient aux bras nerveux, aux jambes nobles, aux chevilles minces. Et, en même temps, une multitude d’idées tristes s’abattaient sur lui.

Tout de suite le hanta le souvenir de sa femme. Il se rappela sa tendresse pour elle, sa foi naïve, son bonheur, puis la lettre de Paul Brancourt découverte par hasard dans un livre de messe, puis les aveux de Suzanne, ses larmes, ses menteuses paroles de repentir, la grâce féline de ses gestes. Et il se remémora la scène du pardon, le morne