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Enfin, au bout de dix ans, on le nommait à Rouen, troisième vicaire de Saint-Maclou.

Ce poste lui plut, ce quartier de misère et d’impiété convenait à sa nature batailleuse. Il entreprit des conversions. Les vieilles dévotes le tenaient en haute estime. Il relançait les ouvriers jusque dans leurs cabarets.

La découverte de la sculpture infâme abolit tout vestige de ces joies. Il ne pensait qu’à cela, ne voyait que cela. En vain, quand il franchissait le seuil de l’église, fermait-il les yeux pour ne les point salir de la hideuse vision, — au milieu des images vagues et changeantes qui dansaient sous ses paupières closes, les deux satyres s’érigeaient, immobiles et précis, superbes de désir. Ils étaient gravés en son cerveau. Ils couraient devant lui avec leurs jambes velues, ils l’étreignaient avec leurs bras nerveux, ils se mêlaient aux choses qu’il touchait, prenaient l’apparence des choses qu’il regardait.

Un jour, fou de terreur, il jeta l’hostie, lui attribuant, dans son hallucination, il ne savait au juste quelle forme étrange.

Il ne pouvait plus prier. Il officiait machinalement. Ses allocutions semblaient des leçons débitées au hasard. Il était la proie d’une idée, comme de quelque monstre appesanti sur lui, habitant en lui, empoisonnant son sang, viciant ses rêves.

D’autres tortures le déchiraient. La même obsession n’atteignait-elle pas ceux qui fréquentaient l’église ? Il abordait les visiteurs, leur donnait des explications sur les vitraux ou sur l’escalier des orgues, dénigrait la valeur des por-