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Dès lors il ne manqua jamais ce spectacle.

Il se plaisait d’ailleurs à exaspérer son désir et, dans ce but, il employait des moyens d’une ingéniosité raffinée.

Chaque samedi, d’après son ordre, Estelle se frottait les membres avec du musc et aspergeait sa robe de cette odeur pénétrante dont il savait l’effet sur ses propres nerfs. Le souvenir de la petite se trouvant ainsi mêlé aux relents de ce parfum, de retour à Paris, il se munissait d’un flacon de musc qu’il respirait a tout moment. Il évoquait de la sorte l’image de l’enfant, sa chair blanche, les lignes indécises de son corps.

Souvent aussi, il rapportait de là-bas le linge qu’elle venait de quitter, et, à l’aide d’un mannequin affublé d’un pantalon et d’une chemise et placé en une demi-obscurité, il reconstituait la silhouette d’Estelle. Des souliers, des bas, des jarretières, et autres objets de toilette qu’il volait à sa protégée, lui servaient encore à se maintenir dans un état d’excitation continue.

Estelle cependant, grâce au régime que lui imposait M. Gavart, grandissait et se fortifiait. On la bourrait de viandes saignantes, de pommes de terre, de pain et en général de farineux. Comme boisson on ne lui permettait que la bière. Privée de camarades et connaissant les moindres recoins du parc, elle ne jouait jamais et prenait peu d’exercice.

Ses bras seuls restaient maigres. Victor se chargea de les frictionner matin et soir à l’eau de Cologne. Les résultats furent négatifs.

Et l’élevage continuait, méthodique et raisonné. Rien n’était laissé à l’imprévu. La peur est dangereuse et peut