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beauté m’a causé des jouissances effroyables. Oui, j’ai été très heureuse. Complètement belle, je n’eusse accepté que l’amour d’un homme. Incomplète, j’ai provoqué celui de tous les hommes.

Elle se tut, réfléchit, puis la voix songeuse, les paupières baissées, soupira :

— Ah ! tous ces êtres, artistes, commerçants, ouvriers, bourgeois, enfants, vieillards, tous ces êtres qui interrompaient leur course à ma seule vue ! toutes ces convoitises dont s’allumaient les regards ! toute cette folie de passion dont grimaçaient les visages ! tous ces rêves qui cherchaient à se représenter mon corps, mon corps chétif ! tous ces assauts furieux de brutes qui grimpaient l’escalier et cognaient a ma porte ! Quel passé, quel passé victorieux ! J’ai vécu dans une atmosphère de désirs brûlants. Ils m’ont réchauffée, ils m’ont consolée. Je n’ai eu ni caresses, ni baisers, ni amour. J’ai eu mieux que cela, j’ai eu l’illusion, l’illusion bienfaisante qui ne trompe jamais.

Comme elle restait silencieuse, je ha-