Page:Leblanc - Ceux qui souffrent, recueil de nouvelles reconstitué par les journaux de 1892 à 1894.pdf/17

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’ÉLEVAGE



À la station de Beuzeville, un monsieur accompagné d’une petite fille descendit d’un compartiment de première classe. Une voiture les attendait, sorte de cabriolet vermoulu, muni d’un siège où s’accroupissait la carcasse d’un domestique.

Par les champs, au milieu des hauts arbres qui encadrent les fermes, on trottina.

Le monsieur s’endormit. C’était un ancien commerçant du nom de Gavart, un homme d’une cinquantaine d’années, très respectable, et que l’on honorait autant pour sa fortune que pour la rigidité de ses mœurs. Il conduisait à la campagne, dans une propriété qu’il possédait aux environs de Criquetot, la petite Estelle, une gamine de dix ans, fille d’une bonne morte récemment à son service. Il s’en chargeait par bonté d’âme. On admirait autour de lui cet acte charitable.

Ils arrivèrent. L’habitation, que les paysans appelaient le château des Cerisiers, en réalité un manoir en ruines, de style médiocre et de proportions restreintes, se cachait au milieu d’un parc inculte où les ronces, les mauvaises herbes, les fleurs sauvages croissaient en toute liberté. Les produits d’un potager, vendus chaque semaine à Étretat ou à Fécamp, suffisaient aux besoins du gardien.

M. Gavart, suivi d’Estelle, monta un escalier pavé, à rampe de chêne massif. Au premier étage, deux portes s’ouvraient.

— Voici ta chambre, Estelle, dit M. Gavart, en désignant l’une des deux portes, tu vas pouvoir défaire ta malle. Apporte-lui ses bagages, Victor, et viens