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PETIT MONSIEUR



Au bout de la grande avenue que bordaient les baraques des saltimbanques, un groupe de personnes nous attira, Georges Roussel et moi.

C’était un homme et une femme qui montraient des bêtes.

L’homme faisait travailler un chien sur une échelle double. Il murmurait des ordres d’une voix mélancolique qui semblait venir de très loin, tant les poils de sa barbe l’interceptaient. Une longue redingote marron, déchirée de tous côtés, laissait voir le bas de ses jambes que recouvrait un maillot d’un rose déteint. La femme, la poitrine roulante sous un caraco graisseux, écartait la foule pour élargir le cercle.

Sur une charrette bleue, surmontée d’une plaque de zinc en guise de toit, s’entassaient des caniches crottés et mal rasés. Un escalier en descendait, où deux singes grelottaient dans leurs loques rouges bordées de velours noir. Ils fixaient les assistants d’un air sérieux et philosophe. À force de les regarder, on s’imaginait retrouver des ressemblances avec des physionomies de personnes connues dont le nom vous échappait.

— Allons, petit monsieur, grogna l’homme de sa voix de ventriloque, il faut gagner sa vie.

Il détacha l’un des singes et lui tendit une sorte de sabot en cuivre. L’animal sauta sur une chèvre. Tous deux firent le tour de la société.