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l’entouraient. Elle ne pouvait plus, chez elle, se tenir dans un coin du salon comme un meuble inutile. On allait l’y chercher. On l’interpellait. Tout cela eût suffi pour la martyriser, mais combien son supplice était décuplé par la cause évidente de cet empressement, la croissance de sa poitrine. Dès qu’elle levait les paupières elle surprenait, braqués sur son corsage, des yeux d’homme étonnés et luisants, des yeux de femmes inquiets et jaloux. Derrière les phrases banales, elle devinait la pensée secrète de son interlocuteur. Le rouge lui montait au front. Elle balbutiait, la voix en larmes.

Ah ! cette chair, cette chair abominable qui jaillissait malgré elle, comme elle l’exécrait ! Elle y songeait comme à un ennemi, à quelque chose de vivant qui lui voulait du mal. Elle l’aplatit, elle l’écrasa, elle renferma dans des corsets bardés d’acier. Mais la chair s’insurgeait. Nulle entrave qu’elle ne brisât.

Alors elle se priva de nourriture. Elle mangeait des légumes et buvait du thé. À quoi bon ! Le peu d’aliments absorbés ne profitait qu’à la poitrine, le corps dépérissait et le contraste devenait d’autant plus choquant entre la sveltesse de l’un et l’exagération de l’autre. Il fallut renoncer à la lutte.

Et la poitrine grossit encore. C’était une