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un cri, ses yeux s’agrandirent, terrifiés.

Je me détournai. Au haut de l’escalier une tête apparaissait, celle du Maure, de son maître.

Il acheva de gravir les marches et se dirigea vers nous. Zouina tremblait. J’entendis son cœur qui battait effroyablement.

Elle ne résista pas. L’homme l’empoigna, lui arracha ses vêtements, et, froidement, me tendant ce corps nu, m’en fit voir, du doigt, le sexe… un sexe d’homme !

Puis il saisit un poignard et l’en frappa d’un grand coup, dans la poitrine. Ensuite il s’approcha de moi et leva son arme. Je ne bougeai pas, incapable de me défendre. Mais je ne sais pourquoi, il m’épargna et sortit à pas lents.

Je restai seul avec Zouina. L’enfant respirait encore, sa peau blanche trouée d’une plaie horrible. Ses yeux m’implorèrent, de pauvres yeux de victime, d’humbles yeux de bête agonisante qui me demandaient pardon.

Il bégaya :

— Ne me gronde pas… c’est sa faute à lui, mon maître… il m’habille en femme… parce qu’il m’aime… il est jaloux de moi… tu comprends…

Oui, j’avais compris, et une immense pitié m’envahit pour ce déshérité, pour cet inconscient qui m’avait aimé comme on lui avait appris à aimer.

Alors je m’agenouillai devant lui, et, pieusement ; je mis sur son front un long baiser de frère, un long baiser d’ami…