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les yeux par nulle couleur, de ne captiver l’attention par nulle parole, de n’offrir au toucher nulle surface.

Et elle y réussissait à merveille. Elle semblait bien une créature de demi-teintes, de nuances mortes, une silhouette, un être inexistant. Il n’était point jusqu’à son prénom de Louise qui n’évitât de la faire remarquer.

Elle se confectionnait ainsi une sorte de bonheur fort agréable. Le renoncement à ses charmes comme l’ostentation. Et elle eût vieilli, elle fût morte contente, si une catastrophe n’eût bouleversé le cours de son existence.

Vers dix-huit ans, elle prit de la poitrine.

Elle avait bien constaté le développement tardif de son corps. Les formes s’arrondissaient. Néanmoins, il restait dans des proportions convenables. Tout de suite, au contraire, sa poitrine grossit de façon inquiétante. Elle n’osait la regarder, mais elle la sentait en effervescence, pleine d’une sève généreuse qui affluait de tous les membres par toutes les veines. Le sang bouillonnait. Une onde lourde gonflait la chair.

Il lui fallut se munir de corsets plus larges. D’une saison à l’autre, ses robes se taisaient trop étroites. On s’en aperçut et ce furent des allusions égrillardes ou admiratives, autant d’insultes ignominieuses à sa modestie.

Dés lors, elle compta pour les gens qui