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LES LÈVRES



Comme elle lui avait marqué de l’intérêt, un soir de bal où il cachait parmi la foule sa timidité de tout jeune homme, il résolut de lui rendre visite. Peu au courant des usages mondains, il se présenta sans s’inquiéter au préalable de son jour. Elle le reçut pourtant, indulgente.

Tout de suite il fut a son aise. L’âge de sa compagne supprimait toute arrière-pensée. Puis il éprouvait pour elle une véritable sympathie, irraisonnée comme l’attraction des enfants vers les personnes bonnes et patientes. Il la regardait, surpris de la trouver moins vieille que l’image dont il avait conservé le souvenir. Elle semblait presque jeune en effet, dans la demi-nuit de la pièce, avec sa bouche restée fraîche, ses dents éclatantes, sa taille où se devinaient les splendeurs d’autrefois. Autour des tempes et sur le front les cheveux étaient blancs. Cela lui donnait un air très doux.

Il ne savait rien d’elle. Un mot cependant lui revint, prononcé au bal dans en groupe de causeurs : « Il lui sera beaucoup pardonné, parce qu’elle a beaucoup aimé. »

Cette réputation l’intriguait, comme une renommée de viveur captive les femmes. Elle avait aimé. Elle avait souffert. Elle connaissait l’amour, ses joies, ses déceptions, cet amour auquel il aspirait de toute son ingénuité de provincial, de tous ses rêves non déflorés de poète et d’adolescent. Quel charme