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sée l’un près de l’autre, et surtout cette étreinte lugubre où, leurs lèvres n’avaient pas échangé de baisers. Pourtant il y rêvait si souvent à leurs caresses défuntes ! Il avait si amèrement regretté le contact de ce corps jeune et frais, la possession de cette chair qui lui appartenait !

Abattu sur une chaise, le visage entre ses mains, il soupira de nouveau.

— Comme c’est triste !

Et elle, répéta sa misérable exclamation de lassitude et de découragement :

— Que veux-tu !

Il la sentit vaincue comme lui, vaincue par la toute-puissante destinée qui broyé les faibles, les isolés, les imprudents, qui use les énergies, abolit les espoirs et abaisse les âmes des plus orgueilleux. Et il laissa couler ces mots :

— Avons-nous été assez fous ! Puis qu’on s’aimait, il n’y avait pas de raison de se quitter… Nos caractères se seraient adoucis… Nous étions susceptibles, coléreux ? Ah ! mon Dieu, ça n’a pas duré longtemps, va ! J’ai été promptement mis au pas. Toi aussi, hein ? Alors nous aurions pu être heureux. Unis, associés, nous étions plus forts… L’un tombait, l’autre le relevait… On se consolait… on pleurait ensemble… on riait ensemble… et puis on n’était pas tout seul, tout seul comme je suis, comme tu es… Il y aurait eu des enfants, peut-être. Avons-nous été assez bêtes ! Peut-on gâcher sa vie comme ça !… Pour une dispute !… Laquelle ? T’en souviens-tu, toi ? Moi pas… Comme c’est bête !… Comme c’est bête !…

Il se mit à sangloter, le dos plié en deux, tandis qu’elle, plus brisée encore, incapable de révolte, redisait avec sa résignation de brute :

— Que veux-tu !… que veux-tu !…