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— Sans attendre les journaux dont le baron vous annonce l’envoi ?

— À quoi bon ?

— J’expédie un télégramme ?

— Inutile. Arsène Lupin connaîtrait mon arrivée. Je n’y tiens pas.

— Et nous revenons ?

— Ah ! ah ! mon vieux camarade, vous partez aussi. Vous ne craignez donc pas que votre bras gauche ne partage le sort de votre bras droit ? À la bonne heure ! Vous êtes un gaillard.



Herlock sholmès et wilson s’embarquent pour la france


L’après-midi, les deux amis s’embarquaient à Douvres. La traversée fut excellente. Dans le rapide de Calais à Paris, Sholmès s’offrit trois heures du sommeil le plus profond. Il s’éveilla heureux et dispos. La perspective d’un nouveau duel avec Arsène Lupin le ravissait, et devant ses compagnons de voyage, il se frotta les mains de l’air satisfait d’un homme qui se prépare à goûter des joies abondantes.

En gare, il saisit sa valise et son plaid, donna son ticket et sortit allègrement avec Wilson.

— Monsieur Sholmès, n’est-ce pas ?

Une femme marchait auprès de lui, une jeune fille plutôt, dont la mise très simple soulignait la silhouette distinguée ; Comme il se taisait, par habitude de prudence, elle répéta :

— Vous êtes bien Monsieur Sholmès ?

— Que me voulez-vous ? dit-il assez bourru, croyant à une rencontre douteuse.

Elle se planta devant lui.

— Écoutez-moi, Monsieur, c’est très grave, je sais que vous allez au 18 de la rue Murillo. Eh bien, il ne faut pas. Non, vous ne devez pas y aller, je vous assure que vous le regretteriez. Si je vous dis cela, ne pensez pas que j’y aie quelque intérêt. C’est par raison, c’est en toute conscience.

Il essaya de l’écarter. Elle insista :

— Oh ! je vous en prie, ne vous obstinez pas… Ah ! si je savais comment vous convaincre ! Regardez tout au fond de moi, tout au fond de mes yeux… ils sont sincères… ils disent la vérité…

Elle offrait ses yeux éperdûment, de ces beaux yeux graves et limpides, où semble se réfléchir l’âme elle-même. Wilson hocha la tête :

— Mademoiselle a l’air bien sincère.

— Mais oui, implora-t-elle, et il faut avoir confiance… et vous avez confiance, n’est-ce pas ?… je le sens… j’en suis sûre… Ah ! comme je suis heureuse !… Tenez, Monsieur, il y a un train pour Calais dans vingt minutes… Eh bien, vous le prendrez… vite, suivez-moi… le chemin est de ce côté et vous n’avez que le temps…

Elle cherchait à l’entraîner. Sholmès lui saisit le bras et avec beaucoup de douceur :

— Excusez-moi, Mademoiselle, de ne pouvoir accéder à votre désir, mais je n’abandonne jamais une tâche que j’ai entreprise.

Et il passa outre, accompagné de Wilson, qui, au bout de quelques secondes, se retourna et salua profondément la jeune fille.

HERLOCK SHOLMÈS — ARSÈNE LUPIN

Ces mots qui se détachaient en grosses lettres noires avaient heurté l’Anglais dès les premiers pas. Il s’approcha ; une théorie d’hommes-sandwich déambulaient les uns derrière les autres, portant à la main de lourdes cannes ferrées dont ils frappaient le trottoir en cadence, et, sur le dos, d’énormes affiches où l’on pouvait lire :


LE MATCH HERLOCK SHOLMÈS-ARSÈNE LUPIN

ARRIVÉE DU CHAMPION ANGLAIS. LE GRAND DÉTECTIVE S’ATTAQUE AU MYSTÈRE DE LA RUE MURILLO. LIRE LES DÉTAILS DANS L’« ÉCHO DE FRANCE »

Le grand détective s’avança vers l’un de ces hommes avec l’intention très nette de le prendre entre ses mains puissantes et de le réduire en miettes, lui et son placard. La foule cependant s’attroupait autour des affiches. On plaisantait et l’on riait.

Réprimant un furieux accès de rage, il dit à l’homme :

— Quand vous a-t-on embauché ?

— Ce matin.

— Vous avez commencé votre promenade ?…

— Il y a une heure.

— Mais les affiches étaient prêtes ?

— Ah ! dame, oui. Lorsque nous sommes venus ce matin à l’agence, elles étaient là.

Ainsi donc, Arsène Lupin avait prévu que lui, Sholmès, accepterait la bataille. Bien plus, la lettre écrite par Lupin prouvait qu’il désirait cette bataille et qu’il entrait dans ses plans de se mesurer une fois de plus avec son rival.

Pourquoi ? Quel motif le poussait à recommencer la lutte ? Herlock eut une seconde d’hésitation. Il fallait vraiment que Lupin fût bien sûr de la victoire pour montrer tant d’insolence, et n’était-ce pas tomber dans le piège que d’accourir ainsi au premier appel ?

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