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conduite actuelle s’appuie sur des motifs sérieux ?

— Extrêmement sérieux.

— Le fait d’avoir échappé à mon capitaine et à mes matelots n’est qu’un incident secondaire de notre lutte. Mais le fait d’être ici, devant moi, seul, vous entendez, seul en face d’Arsène Lupin, me donne à croire que votre revanche est aussi complète que possible.

— Aussi complète que possible.

— Cette maison ?

— Cernée.

— Les deux maisons voisines ?

— Cernées.

— L’appartement au-dessus de celui-ci ?

— Les trois appartements du cinquième que M. Dubreuil occupait, cernés.

— De sorte que…

— De sorte que vous êtes pris, M. Lupin, irrémédiablement pris.

Les mêmes sentiments qui avaient agité Sholmès au cours de sa promenade en automobile, Lupin les éprouva, la même fureur concentrée, la même révolte — mais aussi, en fin de compte, la même loyauté le courba sous la force des choses. Tous deux également puissants, ils devaient pareillement accepter la défaite comme un mal provisoire auquel on doit se résigner.



Les affaires sont les affaires


— Nous sommes quittes, Monsieur, dit-il nettement.

L’Anglais sembla ravi de cet aveu. Ils se turent. Puis Lupin reprit, déjà maître de lui et souriant :

— Et je n’en suis pas fâché. Cela devenait fastidieux de gagner à tous coups.

Il s’approcha de l’Anglais.

— Et maintenant, qu’attendez-vous ?

— Ce que j’attends ?

— Oui, Ganimard est là, avec ses hommes. Pourquoi n’entre-t-il pas ?

— Je l’ai prié de ne pas entrer.

— Et il a consenti ?

— Je n’ai requis ses services qu’à la condition formelle qu’il se laisserait guider par moi. D’ailleurs il croit que M. Félix Davey n’est qu’un complice de Lupin.

— Alors je répète ma question sous une autre forme. Pourquoi êtes-vous entré seul ?

— J’ai voulu d’abord vous parler.

— Ah ! Ah ! vous avez à me parler.

Cette idée sembla plaire singulièrement à Lupin. Il y a telles circonstances où l’on préfère de beaucoup les paroles aux actes.

M. Sholmès, je regrette de n’avoir point de fauteuil à vous offrir. Cette vieille caisse à moitié brisée vous agrée-t-elle ?

— Non, inutile. En quelques mots, voici. Je serai bref. Le but de mon séjour en France n’était pas votre arrestation. Si j’ai été amené à vous poursuivre, c’est qu’aucun autre moyen ne se présentait d’arriver à mon véritable but.

— Qui était ?

— De retrouver le diamant bleu.

— Le diamant bleu !

— Celui qu’on a découvert dans le flacon du conseiller Bleichen n’était pas le vrai. Le vrai, vous l’avez.

— Il se pourrait.

— Or ce diamant, il me le faut. Je l’ai promis à la comtesse de Crozon. Je l’aurai.

— Comment l’aurez-vous, puisqu’il est en ma possession ?

— Je l’aurai précisément parce qu’il est en votre possession.

— Je vous le rendrai donc ?

— Oui.

— Volontairement ?

— Je vous l’achète.

Lupin éclata de rire.

— Vous êtes bien de votre pays. Vous traitez ça comme une affaire.

— C’est une affaire.

— Et que m’offrez-vous ?

— La liberté de Mlle Destange.

— Sa liberté ? Mais je ne sache pas qu’elle soit en état d’arrestation.

— Je fournirai à M. Ganimard les indications nécessaires. Privée de votre protection, elle sera prise, elle aussi.

Lupin s’esclaffa de nouveau.

— Cher Monsieur, vous m’offrez ce que vous n’avez pas. Mlle Destange est en sûreté et ne craint rien. Je demande autre chose.

L’Anglais hésita, visiblement embarrassé, un peu de rouge aux pommettes. Puis, brusquement, il mit la main sur l’épaule de son adversaire :

— Et si je vous proposais…

— Ma liberté ?

— Non… mais enfin je puis sortir de cette pièce, me concerter avec M. Ganimard…

— Et me laisser réfléchir ?

— Oui.

— Eh ! mon Dieu, à quoi cela me servira-t-il ! Ce satané mécanisme ne fonctionne plus, dit Lupin en poussant avec colère la moulure de la cheminée.

Il étouffa un cri de stupéfaction : cette fois, caprice des choses, retour inespéré de la chance, le bloc de marbre avait bougé sous ses doigts.

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