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je reviendrai, en route pour la rue Pergolèse.

Il franchit le seuil de l’hôtel et gagna la bibliothèque. M. Destange l’y rejoignit, et ils travaillaient ensemble depuis un long moment lorsque Clotilde entra, dit bonjour à son père, s’assit dans le petit salon et se mît à écrire.

Sholmès attendit, puis, prenant un volume :

— Voici justement un livre que Mlle Destange m’a prié de lui remettre dès que je le trouverais.

Il se rendit dans le petit salon et dit à Clotilde :

— Je suis M. Stickmann, le nouveau secrétaire de M. Destange.

— Ah ! fit-elle sans se déranger.

— Oui, et je désirerais vous parler, Mademoiselle.

— Veuillez vous asseoir, Monsieur, j’ai fini.

Elle cacheta sa lettre, repoussa ses papiers, appuya sur la sonnerie d’un téléphone, obtint la communication avec sa couturière, pria celle-ci de hâter l’achèvement d’un manteau de voyage dont elle avait un besoin urgent, et enfin se tournant vers Sholmès :

— Je suis à vous, Monsieur. Mais notre conversation ne peut-elle avoir lieu devant mon père ?

— Non, Mademoiselle, et je vous supplierai même de ne pas hausser la voix. Il est préférable que M. Destange ne nous entende point.

— Pour qui est-ce préférable ?

— Pour vous, Mademoiselle, comme vous allez en juger. Pardonnez-moi si je me trompe sur certains points secondaires ; ce que je garantis, c’est l’exactitude générale des faits que j’expose. Il y a cinq ans, Monsieur votre père a eu l’occasion de rencontrer un M. Maxime Bermond, lequel s’est présenté à lui comme entrepreneur… ou architecte, je ne saurais préciser. Toujours est-il que M. Destange s’est pris d’affection pour ce jeune homme, et comme l’état de sa santé ne lui permettait plus de s’occuper de ses affaires, il confia à M. Bermond l’exécution de quelques commandes qu’il avait acceptées de la part d’anciens clients, et qui semblaient en rapport avec les aptitudes de son collaborateur.

Herlock s’interrompit. Il lui parut que la pâleur de la jeune fille s’était accentuée. Ce fut pourtant avec le plus grand calme qu’elle prononça :

— J’ignore absolument les faits dont vous m’entretenez, Monsieur, et surtout, je ne vois pas en quoi ils peuvent m’intéresser.

— En ceci, Mademoiselle, c’est que M. Maxime Bermond s’appelle de son vrai nom, vous le savez aussi bien que moi, Arsène Lupin.

Elle éclata de rire.

— Pas possible ! Arsène Lupin ?

— Comme j’ai l’honneur de vous le dire, Mademoiselle, et puisque vous refusez de me comprendre à demi-mot, j’ajouterai qu’Arsène Lupin a trouvé ici, pour l’accomplissement de ses projets, une amie, plus qu’une amie, une complice aveugle et… passionnément dévouée.

Elle se leva, et, sans émotion, ou du moins avec si peu d’émotion que Sholmès fut frappé d’une telle maîtrise, elle déclara :

— J’ignore le but de votre conduite, Monsieur, et je veux l’ignorer. Je vous prie donc de ne pas ajouter un mot et de sortir d’ici.

— Je n’ai jamais eu l’intention de vous imposer ma présence indéfiniment, répondit Sholmès, aussi paisible qu’elle. Seulement, j’ai résolu de ne pas sortir seul de cet hôtel.

— Et qui donc vous accompagnera, Monsieur ?

— Vous !

— Moi ?

— Oui, Mademoiselle, nous sortirons ensemble de cet hôtel, et vous me suivrez, sans une protestation, sans un mot.



Le faux m. stickmann démasque ses batteries


Ce qu’il y avait d’étrange dans cette scène, c’était le calme absolu des deux adversaires. Plutôt qu’un duel implacable entre deux volontés puissantes, on eût dit, à leur attitude, au ton de leurs voix, le débat courtois de deux personnes qui ne sont pas du même avis.

Dans la rotonde, par la baie grande ouverte, on apercevait M. Destange.

Clotilde se rassit en haussant légèrement les épaules. Herlock tira sa montre.

— Il est dix heures et demie. Dans cinq minutes nous partons.

— Sinon ?

— Sinon, je vais trouver M. Destange, et je lui raconte…

— Quoi ?

— La vérité. Je lui raconte la vie mensongère de Maxime Bermond, et je lui raconte la double vie de sa complice.

— De sa complice ?

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