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épisodes curieux que les reporters intitulaient en gros caractères : Le numéro 514, série 23 ! La tapisserie mystérieuse ! Le diamant bleu !… Quel bruit autour de l’intervention de Sherlock Holmes ! Quel vacarme sur les boulevards, le jour où les camelots vociféraient : « L’arrestation d’Arsène Lupin ! »

Mon excuse, c’est que j’apporte du nouveau : j’apporte le mot de l’énigme. Il reste toujours de l’ombre autour de ces aventures ; je la dissipe. Je reproduis des articles lus et relus, je recopie d’anciennes interviews : mais tout cela, je le coordonne, je le classe et je le soumets à l’exacte vérité. Mon collaborateur, c’est Arsène Lupin dont la complaisance à mon égard est inépuisable. Et c’est aussi, en l’occurrence, l’ineffable Watson, l’ami et le confident de Sherlock Holmes.

On se rappelle le formidable éclat de rire qui accueillit la publication de la double dépêche. Le nom seul d’Arsène Lupin était un gage d’imprévu, une promesse de divertissement pour la galerie. Et la galerie, c’était le monde entier.

Des recherches opérées aussitôt par le Crédit Foncier, il résulta que le numéro 514, série 23, avait été délivré par l’intermédiaire du Crédit Lyonnais, succursale de Versailles, au commandant d’artillerie Bessy. Or, le commandant était mort d’une chuté de cheval, et quelque temps avant sa mort il avait cédé son billet à un ami.

— Cet ami, c’est moi, affirma M. Gerbois, j’avais avec le commandant des relations suivies, et pour l’obliger, dans un moment de gêne, je lui ai repris ce billet.

— Qu’est-ce qui le prouve ?

— La lettre qu’il m’a écrite à ce sujet.

— Quelle lettre ?

— Une lettre qui était épinglée avec le billet.

— Montrez-la.

— Mais elle se trouvait dans le secrétaire volé !

— Retrouvez-la.

Arsène Lupin la communiqua, lui. Une note insérée par l’Écho de France — lequel a l’honneur d’être son organe officiel, et dont il est, paraît-il, un des principaux actionnaires — une note annonça qu’il remettait entre les mains de Me Detinan, son avocat-conseil, la lettre que le commandant Bessy lui avait écrite, à lui personnellement.

Toute la presse, se rua chez Me Detinan, député radical influent, homme de haute probité en même temps que d’esprit fin, un peu sceptique, volontiers paradoxal.

Me Detinan n’avait jamais eu le plaisir de rencontrer Arsène Lupin, mais il venait en effet de recevoir ses instructions, et cela lui semblait la chose du monde la plus délicieuse que d’être le conseil d’Arsène Lupin !

Il exhiba la lettre du commandant. Elle prouvait bien la cession du billet, mais ne mentionnait pas le nom de l’acquéreur. « Mon cher ami… » disait-elle simplement.

Et Arsène Lupin prétendait à son tour :

— « Mon cher ami », c’est moi.

La nuée des reporters s’abattit immédiatement chez M. Gerbois qui ne put que répéter :

— « Mon cher ami » n’est autre que moi, Arsène Lupin a volé la lettre avec le billet, puisque c’est lui qui a volé le secrétaire.

— Qu’il le prouve, répliqua Lupin.

Et ce fut un spectacle d’une fantaisie charmante que ce duel public entre les deux possesseurs du numéro 514, série 23, que ces allées et venues des journalistes, que le sang-froid d’Arsène Lupin en face de l’affolement de ce pauvre M. Gerbois.

Le malheureux, la presse était remplie de ses lamentations !

— C’est la dot de Suzanne que ce gredin me dérobe !… Je savais bien que le secrétaire contenait un trésor ! s’écriait le professeur…

On avait beau lui objecter que son adversaire, en emportant le meuble, ignorait la présence d’un billet de loterie, et que nul en tous cas ne pouvait prévoir que ce billet gagnerait le gros lot, il gémissait :

— Allons donc, il le savait !… sinon, pourquoi se serait-il donné la peine de prendre ce misérable meuble ?



Arsène lupin propose une transaction à m. gerbois


Mais le douzième jour, M. Gerbois reçut d’Arsène Lupin une lettre assez inquiétante :

« Monsieur, la galerie s’amuse à nos dépens. N’estimez-vous pas le moment venu d’être sérieux ? J’y suis, pour ma part, fermement résolu.

« La situation est nette : je possède un billet que je n’ai pas le droit de toucher, et vous avez le droit de toucher un billet que vous ne possédez pas. Donc nous ne pouvons rien l’un sans l’autre.

« Or, ni vous ne consentiriez à me céder votre droit, ni moi à vous céder mon billet.

« Que faire ?

« Je ne vois qu’un moyen, séparons. Un demi-million pour vous, un demi-million

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