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son comme quelqu’un qui sait de quoi il s’agit.

— Mais n’oublions pas que l’appartement de M. Dalbret est situé au quatrième étage, c’est-à-dire plusieurs mètres au-dessus de l’hôtel du baron. Par conséquent, s’il existe un passage secret, et il en existe un, il ne peut être situé… que là où je le suppose.

— Évidemment, murmura Wilson, méditatif.

Ils s’en allèrent jusqu’à la rue Clapeyron, et tandis qu’il examinait la façade du numéro 25, Sholmès continuait :

— Quel motif a conduit Arsène Lupin à choisir la maison habitée par Me Detinan ? Quel rapport doit-on établir… ?

Au fond de lui, et pour la première fois, Wilson douta de la toute-puissance de son génial collaborateur. Pourquoi parlait-il tant et agissait-il si peu ?

— Pourquoi ? s’écria Sholmès, répondant aux pensées intimes de Wilson, parce que, avec ce diable de Lupin, on travaille dans le vide, au hasard, et qu’au lieu d’extraire la vérité de faits précis, on doit la tirer de son propre cerveau, pour vérifier ensuite si elle s’adapte bien aux événements. Vous comprenez ?

— Si je comprends ! répliqua Wilson, c’est-à-dire que vous êtes un peu désorienté.

Il n’avait pas achevé cette phrase qu’il recula, avec un cri. Quelque chose venait de tomber à leurs pieds, un sac à moitié rempli de sable, qui eut pu les blesser grièvement.

Sholmès leva la tête, au-dessus d’eux : des ouvriers travaillaient sur un échafaudage accroché au balcon du cinquième étage.

— Eh bien ! vrai, nous avons de la chance, s’écria-t-il, un pas de plus et nous recevions sur le crâne le sac d’un de ces maladroits.

Le lendemain, le programme ne varia pas. Ils s’assirent sur le même banc de l’avenue Henri-Martin, et ce fut, au grand désespoir de Wilson qui ne s’amusait nullement, une interminable station vis-à-vis des trois immeubles. Un seul incident en rompit la monotonie, mais de façon plutôt désagréable.

Le cheval d’un monsieur, qui suivait l’allée cavalière située entre les deux chaussées de l’avenue, fit un écart et vint heurter le banc où ils étaient assis, en sorte que sa croupe effleura l’épaule de Sholmès.

— Eh ! eh ! ricana celui-ci en regardant le monsieur se débattre avec son cheval, puis s’en aller au galop, un peu plus j’avais l’épaule fracassée !

Cette petite alerte le laissa pensif. Au déjeuner il ne desserra pas les dents. Wilson eut beau lui soumettre quelques considérations générales sur l’affaire, rien ne le sortit de son mutisme.

Vers cinq heures, comme ils faisaient les cent pas dans la rue Clapeyron, Sholmès s’écria à brûle-pourpoint :

— Wilson, vous ne tirez aucune conclusion des deux… accidents auxquels nous venons d’échapper ?

— Certes.

— Laquelle ?

Wilson se gratta le front. Sholmès reprit :

— Hier, Wilson, le sac rempli de sable qui nous est presque tombé sur la tête a été lancé par un complice d’Arsène Lupin.

— Est-ce croyable ?

— Ce matin, Wilson, le cheval qui s’est écroulé presque sur nous était monté par un complice d’Arsène Lupin.

À ce moment, trois jeunes ouvriers qui chantaient et se tenaient par le bras, les heurtèrent et voulurent continuer leur chemin sans se désunir. Sholmès, qui était de mauvaise humeur, s’y opposa. Il y eut une courte bousculade. Sholmès repoussa vigoureusement deux des trois jeunes gens qui, sans insister davantage, s’éloignèrent, bientôt rejoints par leur compagnon.

Mais, apercevant Wilson appuyé contre le mur, il lui dit :

— Eh quoi ! qu’y a-t-il, vieux camarade, vous êtes tout pâle.

Le vieux camarade montra son bras qui pendait inerte, et balbutia :

— Je ne sais pas ce que j’ai… une douleur au bras.

Malgré tous ses efforts il ne parvenait pas à le remuer. Herlock le palpa, puis, assez inquiet, entra dans une pharmacie voisine où Wilson éprouva le besoin de s’évanouir.

Le pharmacien et ses aides s’empressèrent. On constata que le bras était cassé, et tout de suite il fut question de chirurgien, d’opération et de maison de santé. En attendant, on déshabilla le patient qui, secoué par la souffrance, se mit à pousser des hurlements.

— Bien… bien… parfait, disait Sholmès qui s’était chargé de tenir le bras… un peu de patience, mon vieux camarade… dans cinq ou six semaines, il n’y paraîtra plus…

Il s’interrompit brusquement, lâcha le

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