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Il arriva donc sans idée préconçue, et reprit l’enquête à son début comme s’il ignorait tout ce qui avait été fait et tout ce qui avait été dit. Mais il ne tarda pas à s’apercevoir qu’on ne l’avait demandé que dans l’espérance qu’il fournirait, et très rapidement, la preuve si longtemps attendue. Au lieu de trouver des auxiliaires, il se heurtait à des gens que les événements avaient exaspéré jusqu’au parti pris, violent et irréfléchi.

Sans s’émouvoir, il continua de s’informer et d’interroger. Presque aussitôt il dut mettre les domestiques hors de cause, mais les invités lui inspirèrent une défiance plus durable, et il se renseigna sur leurs moyens d’existence et leur moralité. Qu’était-ce que ces messieurs d’Andelle, et pourquoi avaient-ils quitté le château ? Et Mme de Réal ?

À la fin, le comte, impatienté, s’écria :

Mme de Réal est une amie de ma femme. Voici son adresse : hôtel des Rives d’Or, à Monte-Carlo. Quant à mes cousins d’Andelle, ce sont les plus honnêtes gens du monde. Et, maintenant, parlons du sieur Bleichen, ou restons-en là.

Et comme Ganimard insistait, il lui tourna le dos.

Durant quatre jours l’inspecteur fureta, potina, se promena dans le parc, eut de longues conférences avec la bonne, avec le chauffeur, les jardiniers, les employés des bureaux de poste voisins, visita les appartements qu’occupaient le ménage Bleichen, les cousins d’Andelle et Mme de Réal. Puis, un matin, il prit congé de ses hôtes et s’exprima ainsi :

— Je ne puis rien dire de définitif, car, au fond, je ne sais rien. Il y a dans tout cela des points incompréhensibles. Mais j’ai recueilli des indices de la plus haute importance et qui m’obligent à suivre une piste tout à fait nouvelle. Il me faudra peut-être une semaine…

— Soit, fit le comte. Vendredi prochain nous retournons à Paris. Le samedi, nous vous attendrons.



Une conversation qui ne manque pas d’intérêt.


Le vendredi, à leur arrivée, M.  et Mme  de Crozon trouvaient ce télégramme, envoyé de Bordeaux :

« Vous prie venir demain onze heures préfecture police. — Ganimard. »

À onze heures exactement, leur automobile s’arrêtait au quai des Orfèvres, et, tout de suite, le vieux policier les conduisit dans le bureau du chef de la Sûreté.

— Eh bien ! Ganimard, s’écria M. Dudouis, quand on se fut assis, qu’avez-vous d’intéressant à nous dire ? Nous vous écoutons.

Ganimard hésita, puis prononça en cherchant ses mots :

— J’ai désiré que cet entretien eût lieu ici parce que j’apporte des conclusions… ou plutôt une opinion… qui n’est pas conforme…

— Parlez net : nous apportez-vous des preuves ?

— Non.

— Alors ?

— Alors, j’affirme que M. Bleichen n’est pour rien dans le vol de la bague.

— Oh ! oh ! fit M. Dudouis, l’affirmation est grave.

Très maître de lui, le comte déclara :

— Nul plus que nous ne souhaite l’innocence de M. Bleichen, mais cette innocence n’aurait-elle pas besoin d’être établie sur des faits précis ?

— C’est plutôt, répliqua le policier, sa culpabilité qu’il faudrait établir. Or, il résulte de mon enquête que M. Bleichen n’ignorait aucune des mesures vexatoires qui furent prises contre lui. Toute cette surveillance, exercée soi-disant de la façon la plus discrète, fut au contraire maladroite et brutale. Par conséquent, est-il admissible qu’un homme, sous le coup d’une accusation aussi formelle, ne se débarrasse pas de l’objet qu’il a volé, avant d’affronter une perquisition dont l’issue n’est pas douteuse ?

— Comment l’aurait-il pu, épié, traqué comme il l’était ?

— On peut toujours ! La nuit, on ouvre sa fenêtre et on jette la bague à trente mètres de sa chambre. On la cache dans un coin quelconque du château, bref on fait n’importe quoi, mais on ne se laisse pas pincer d’une façon aussi stupide.

Après un silence, le comte demanda :

— Est-ce à cette… découverte que se bornent vos efforts ?

— Non, monsieur. Le surlendemain du vol, les hasards d’une excursion en automobile ont mené trois de vos invités jusqu’au bourg de Crécy. Tandis que deux de ces personnes allaient visiter le fameux champ de bataille, la troisième se rendait en hâte au bureau de poste et expédiait une petite boîte ficelée, cachetée selon les règlements, et déclarée pour la valeur de cent francs.

M. de Crozon objecta :

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