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Arsène Lupin au théâtre de l’Athénée


Arsène Lupin a obtenu à l’Athénée un succès que la presse avait prévu, proclamé, dès le premier soir et qui s’est longtemps renouvelé. Il n’en pouvait être autrement.

La collaboration du poète de Chérubin et du Paon, de l’auteur de Le je ne sais quoi et de Le Bonheur Mesdames, avec le nouvelliste et le romancier des Couples, de l’Œuvre de mort, de Voici des ailes et de l’Enthousiasme, devait produire, quelque fût le genre choisi par eux, une œuvre adroite, agréable, brillante, et solidement construite.

De nombreux articles d’ « avant-premières » nous ont renseigné sur la genèse de cette collaboration. M. Francis de Croisset, séduit, charmé par la verve, l’imagination, la variété de ressources du héros que M. Maurice Le blanc avait rendu fameux par ses deux derniers romans : Arsène Lupin gentleman-cambrioleur et Arsène Lupin contre Herlock Sholmès, avait proposé à leur auteur d’en tirer, avec lui, une pièce. D’avance M. Deval, directeur de l’Athénée, acceptait ces trois ou ces quatre actes. MM. de Croisset et Leblanc se mirent donc à l’ouvrage et bâtirent vite un scénario, — qui ne leur plut pas absolument. Ils partirent alors en voyage ; le premier, au Maroc, le second, à Venise, — et se retrouvèrent au mois d’août dans les Alpes, à Saint-Gervais, où ils se remirent au travail. Cette fois les scènes, les actes de ce nouvel Arsène Lupin se déroulèrent à merveille avec toute l’ingéniosité désirable de leurs péripéties, avec l’esprit perpétuellement renouvelé de leurs répliques ; les deux collaborateurs rentrèrent à Paris et donnèrent aussitôt lecture de leur œuvre à M. Deval qui la reçut, en effet, d’emblée, et la mit bientôt en répétitions en lui assurant des interprètes de choix.

Comme nous l’avons dit plus haut, la presse fut unanime, au lendemain de la répétition générale, à proclamer le plaisir qu’elle avait pris à ce spectacle.

Ainsi M. Gustave Guiches écrivait dans Comœdia :

« Il faut le constater tout de suite, c’est un très gros succès. Et pas un succès gros comme il risquait d’être, mais un succès charmant, remporté par ces délicieux Lupin à coups de fantaisie, de verve, d’inattendues trouvailles et, dans cette soirée de cambriolages si joliment réussis, le succès est la seule chose dont on peut dire qu’il ne l’a pas volé.

» Certes, M. Maurice Leblanc avait facilité la tâche à M. de Croisset. Il lui apportait un personnage auquel son cerveau de romancier et son talent d’écrivain avaient déjà donné une vie toute frémissante d’aventures et de joyeux frissons. Or, les deux livres que M. Maurice Leblanc consacre à Arsène Lupin ne sont-ils pas du théâtre ? Ne trouve-t-on pas, à chaque chapitre, une action condensée et cependant complète avec de l’émotion, du rire et toujours de l’imprévu dans les péripéties ?

» Mais, évidemment, cela ne suffit pas. Aussi impressionnante que fût cette série de récits, il lui eût manqué, pour la scène, le fil, le fameux fil conducteur, car s’il existe une télégraphie sans fil, il n’existe pas de théâtre sans fil. C’est M. de Croisset qui apporta ce fil. Il a enchaîné les événements comme pour une farandole, et il les a lancés dans une folle galopade.

» Je sais tout ce que l’on peut dire : que c’est du cinéma, du Guignol exaspéré ou du Sherlock en délire ; qu’il est arbitraire de créer un type qui se joue ainsi de tout le monde et qu’il est dangereux de présenter le métier de voleur comme une carrière à la mode et celui de policier comme un art ridicule. Qu’importe ! Cela n’empêche qu’Arsène Lupin est une pièce supérieurement faite, qui contient des scènes délicieusement comiques et poignantes et que le gentleman cambrioleur a reçu hier, pour son agilité, sa grâce et sa maîtrise, les bravos enthousiastes, récompense ordinaire des victimes du devoir et des honnêtes gens !… »

M. Adolphe Brisson reconnaissait aussi, dans le Temps, qu’Arsène Lupin est un voleur charmant :

« L’imagination du romancier Maurice Leblanc avait paré de mille grâces cette figure ; la spirituelle ingéniosité du dramaturge Francis de Croisset lui a imprimé le relief scénique ; la distinction souple et fine, l’élégance sportive d’André Brulé ont achevé de la rendre vivante. Elle a plu. Le public s’est diverti à la voir évoluer. »

M. Henri de Régnier expliquait même, ingénieusement, dans le Journal des Débats, pour quelles causes d’ordre historique, philosophique, psychologique, ce gentleman cambrioleur pouvait et devait nous plaire :

« Aimable et sympathique, Arsène Lupin est un artiste en sa partie, et c’est avec un intérêt que lui mérite une remarquable ingéniosité que nous assistons à ses « nouvelles créations ».

» Le mot d’ingéniosité vient de lui-même à l’esprit pour caractériser la qualité d’intelligence dont font preuve un Arsène Lupin et ses congénères, qu’ils sortent d’un roman de Conan Doyle ou de Balzac, d’Eugène Sue, de Gaboriau, de Capendu ou de Victor Hugo, ou qu’ils aient porté les noms authentiques de Mandrin ou de Cartouche. Ce qui nous plaît le mieux, dans leurs personnages réels ou imaginaires, c’est moins la position qu’ils ont prise en face de la société et la manière dont ils ont envisagé la vie que la façon dont, une fois adoptée la carrière où ils se sont rendus fameux, ils ont résolu, pendant plus ou moins longtemps, les difficultés qu’elle leur suscitait. Ce qui nous frappe en eux, c’est la merveilleuse ingéniosité qu’ils déploient pour arriver à leurs fins, qui ne sont autres que de s’approprier le bien d’autrui, mais sur lesquelles les moyens qu’ils inventent pour y parvenir nous font passer jusqu’à un certain point. Cela est si vrai que nous arrivons presque à ne plus nous apercevoir que le vol est en lui-même un acte répréhensible et que nous en venons presque à oublier que le voleur est un voleur pour ne voir en lui qu’une sorte de prestidigitateur et d’acrobate et un virtuose, dévoyé certes, mais bien séduisant de l’ingéniosité humaine. »

Ce sentiment d’indulgence et de curiosité que nous ressentons malgré nous pour un Arsène Lupin (prenons cet exemple puisque la pièce de MM. de Croisset et Leblanc nous le fournit) n’est pas entièrement dû aux mérites particuliers et personnels de cet ingénieux praticien ; il a une origine plus générale et plus ancienne. Il est même, si je puis dire, de tradition. Il remonte au prestige qu’a toujours exercé sur ses semblables — surtout quand ils ne lui ressemblent pas — l’homme industrieux. Aussi bien qu’il y a des hommes à bonnes fortunes, il y a des hommes à stratagèmes et ils ont toujours joui d’une considération spéciale. Nous n’admirons pas seulement les héros nés sous le signe de Mars ou de Vénus, mais aussi ceux que domine celui de Mercure. Le courage ou la grâce nous semblent des dons merveilleux, mais la ruse, l’astuce et l’adresse ne nous en paraissent pas de méprisables. À côté d’Achille, il y a Ulysse. Il est le patron des héros subtils, ingénieux, détrousseurs et débrouillards, dont l’odyssée fertile en stratagèmes, en roueries, en bons tours et en mauvaises actions, n’a pas cessé de nous divertir de siècle en siècle et aboutit, selon les époques, à Ithaque ou à la maison centrale. »

M. Catulle Mendès commentait lui aussi dans le Journal, mais à sa façon et avec sa verve de vingt ans les triomphes heureux du jeune Lupin :

« À quoi rêvent les jeunes filles ? à Arsène Lupin ; plus d’une, éveillée, la nuit, par quelque grincement de « rossignol » dans la serrure (ah ! non, ce n’est pas l’alouette !) ne sait si elle redoute ou espère que son rêve s’achève

(Voir la suite à l’avant-dernière page de la couverture.)