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ARSÈNE LUPIN

Le Duc, avec une nuance d’ironie. — Vous n’avez pas bien cherché… À votre place, je retournerais voir.

Guerchard. — Non… mais tout de même, c’est assez drôle… (Le regardant.) Vous ne trouvez pas ça drôle ?

Le Duc. — Si… Je trouve ça drôle.

Guerchard fait quelques pas, puis il sonne. Entre Boursin.

Guerchard. — Boursin… Mlle Kritchnoff… il est temps.

Boursin.Mlle Kritchnoff ?

Guerchard. — Oui, il est temps… qu’on l’emmène.

Boursin. — Mais Mlle Kritchnoff est partie, patron.

Guerchard, sursautant. — Partie ! Comment, partie !

Boursin. — Mais oui, patron.

Guerchard. — Voyons, voyons… tu es fou !

Boursin. — Non, patron.

Guerchard. — Partie !… Qui l’a laissée partir ? Qui ?

Boursin. — Mais le planton de garde.

Guerchard, violemment. — Quoi ? Quoi… le planton de garde ?…

Boursin. — Mais ?…

Guerchard. — Il fallait mon visa… mon visa sur ma carte.

Boursin. — La voilà… votre carte… et voilà le visa…

Guerchard, stupéfait. — Hein ? Un faux ? Ah çà !… (Un assez long jeu de scène où il cherche à comprendre, où il entrevoit la complicité du duc dans cette évasion.) C’est bien ! (Sort Boursin. Un temps. Il va vers son paletot, en tire son portefeuille, compte les cartes, s’aperçoit qu’il en manque une. Le duc est près de lui, séparé de lui par l’écran, les mains sur cet écran et se balançant. Guerchard lève la tête, ils se regardent en souriant. Guerchard met son paletot. Le duc lui propose de l’aider, ce qu’il refuse. Puis il sonne de nouveau.) Boursin… Victoire a bien été embarquée dans la voiture cellulaire, n’est-ce pas ?

Boursin. — Il y a belle lurette, patron. La voiture attendait dans la cour depuis neuf heures et demie.

Guerchard. — Neuf heures et demie !… Mais la voiture ne devait arriver que maintenant, à dix heures et demie. Enfin, c’est bien.

Boursin. — Alors, on peut renvoyer l’autre voiture ?

Guerchard. — Quelle autre voiture ?

Boursin. — La voiture cellulaire qui vient d’arriver ?

Guerchard. — Quoi ! Qu’est-ce que tu me chantes ?

Boursin. — Vous n’aviez pas commandé deux voitures cellulaires ?

Guerchard, bouleversé. — Deux voitures ! Ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ?

Boursin. — Mais si, patron…

Guerchard. — Tonnerre ! Dans quelle voiture a-t-on installé Victoire ? dans laquelle ?

Boursin. — Dame ! Dans la première, patron.

Guerchard. — Tu as vu les agents, le cocher ? Tu les connaissais ?… Tu les as reconnus ?

Boursin. — Non.

Guerchard. — Non ?

Boursin. — Non, ça devait être des nouveaux, ils m’ont dit qu’ils venaient de la Santé.

Guerchard. — Bougre d’idiot ! C’est toi qui en as une santé.

Boursin. — Comment, alors ?

Guerchard. — Nous sommes roulés, c’est un tour de… un tour de…

Le Duc. — De Lupin, vous croyez… oh !

Guerchard. — Ah ! mais… Ah ! mais !… (À Boursin.) Eh bien, quand tu resteras là, la bouche ouverte, quand tu resteras là. Fouille la chambre de Victoire.

Boursin. — Bonavent l’a fouillée, patron.

Guerchard. — Ah ! eh bien, où est-il ? Qu’il entre !

Boursin. — Bonavent !

Entre Bonavent.

Guerchard. — Tu as fouillé les malles de Victoire ?

Bonavent. — Oui, rien que du linge, des vêtements… sauf ça.

Guerchard. — Donne… Un livre de messe, c’est tout ?

Bonavent. — Il y a une photographie dedans.

Guerchard. — Ah ! une photographie de Victoire… presque effacée… une date… Il y a dix ans… Tiens ! quel est ce garçon qu’elle tient par le cou… Ah çà ! Ah çà !

Jeu de scène très lent. Assailli de pensées, il regarde la photo, l’éloigne, la rapproche, regarde de côté, vers le duc, sans toutefois fixer ses yeux sur lui. Le duc est toujours près de la cheminée, il se dresse sur la pointe des pieds pour voir la photo. Se sentant découvert il cherche un instant des yeux, avec une certaine anxiété par où il pourrait s’enfuir, le cas échéant. Guerchard se rapproche et le regarde en se frottant les mains.

Le Duc. — Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai quelque chose qui ne va pas… ma cravate…

Guerchard continue de le regarder sans répondre. On sonne au téléphone. Le duc fait mine d’y aller.

Guerchard. — Non, je vous en prie… (Au téléphone.) Allô ! oui : c’est moi, l’inspecteur principal de la Sûreté. (Au duc.) Le jardinier de Charmerace, monsieur le duc.

Le Duc. — Ah ! vraiment ?

Guerchard. — Allô, oui, vous m’entendez bien… bon… Je voudrais savoir qui a pénétré hier dans la serre ? Qui a pu cueillir du salvia rose… ?

Le Duc. — C’est moi, je vous l’ai dit tout à l’heure.

Guerchard. — Oui… oui… je sais… (Au téléphone.) Hier après-midi… oui, personne d’autre ? Ah ! personne, sauf le duc de Charmerace… Vous êtes bien sûr ? Tout à fait sûr ?… Tout à fait sûr ?… Oui, c’est tout, merci. (Il remet le cornet de l’appareil et au duc.) Vous avez entendu, monsieur le duc ?

Le Duc. — Oui.

Un silence encore.

Gournay-Martin, entrant, sa valise à la main. — Tu veux aller au Ritz ? Allons au Ritz. (Au duc.) Qu’est-ce que vous voulez ? Il était dit que je ne coucherais plus jamais chez moi.

Le Duc. — Vous partez ? Qu’est-ce qui vous oblige à partir ?

Gournay-Martin.Le danger ! Vous n’avez donc pas lu le télégramme de Lupin : « Viendrai ce soir entre minuit moins un quart et minuit prendre le diadème ! » Et vous croyez que j’allais l’attendre quand le diadème était dans ma chambre à coucher.

Le Duc. — Mais il n’y est plus… Vous avez eu la