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ARSÈNE LUPIN

Bonavent. — Par un chiffonnier. Il a vu les camions s’éloigner vers cinq heures du matin…

Guerchard. — Ah ! ah ! C’est tout ?

Bonavent. — Un homme est sorti de l’hôtel en tenue de chauffeur…

Guerchard et Le Duc. — Ah !

Bonavent. — À vingt pas de l’hôtel, il a jeté sa cigarette. Le chiffonnier l’a ramassée.

Le Duc. — Et il l’a fumée ?

Bonavent. — Non, la voici.

Il sort.

Guerchard, vivement. — Une cigarette à bout d’or… et comme marque « Mercédès… » Tiens, monsieur le duc, ce sont vos cigarettes…

Le Duc. — Allons donc ! Ça c’est inouï !…

Guerchard. — Mais c’est très clair, et mon argumentation se resserre. Vous aviez de ces cigarettes-là à Charmerace ?

Le Duc. — Des boîtes sur toutes les tables !

Guerchard. — Eh bien !

Le Duc. — C’est vrai, l’un des Charolais aura pris une de ces boîtes.

Guerchard. — Dame… nous savons que ça n’est pas le scrupule qui les étouffait.

Le Duc. — Seulement… Mais j’y pense…

Guerchard. — Quoi ?

Le Duc. — Lupin… Lupin, alors…

Guerchard. — Eh bien ?

Le Duc. — Puisque c’est Lupin qui a fait le coup, cette nuit ; puisque l’on a trouvé ces salvias dans l’hôtel voisin… Lupin arrivait donc de Charmerace ?…

Guerchard. — Évidemment.

Le Duc. — Mais alors, Lupin… Lupin est un des Charolais ?

Guerchard. — Oh ! ça c’est autre chose.

Le Duc. — Mais c’est certain ! C’est certain, nous tenons la piste.

Guerchard. — À la bonne heure ! vous voilà emballé comme moi. Quel policier vous auriez fait ! Seulement… rien n’est certain.

Le Duc. — Mais si, qui voulez-vous que ce soit ? Était-il hier à Charmerace ? oui ou non ? A-t-il oui ou non organisé le vol des automobiles ?

Guerchard. — Sans aucun doute, mais il a pu rester dans la coulisse.

Le Duc. — Sous quelle forme ?… sous quel masque ?… Ah ! je brûle de voir cet homme-là.

Guerchard. — Nous le verrons ce soir.

Le Duc. — Ce soir ?

Guerchard. — Oui, puisqu’il viendra prendre le diadème entre minuit moins un quart et minuit.

Le Duc. — Non ?… Vous croyez vraiment qu’il aura le culot ?…

Guerchard. — Vous ne connaissez pas cet homme-là, monsieur le duc, ce mélange extraordinaire d’audace et de sang-froid. C’est le danger qui l’attire. Il se jette au feu et il ne se brûle pas. Depuis dix ans, je me dis : « Ça y est ! cette fois… je le tiens !… Enfin, je vais le pincer… » Je me dis ça tous les jours…

Le Duc. — Eh bien ?

Guerchard. — Eh bien, les jours se passent et je ne le pince jamais. Ah ! il est de taille, vous savez… C’est un gaillard. C’est un bel artiste ! (Un temps, puis entre ses dents.) Voyou !

Le Duc. — Alors, vous pensez que, ce soir, Lupin…

Guerchard. — Monsieur le duc, vous avez suivi la piste avec moi, nous avons ensemble relevé chaque trace. Vous avez presque vu cet homme à l’œuvre… Vous l’avez compris… Ne pensez-vous pas qu’un individu pareil est capable de tout ?

Le Duc. — Si !

Guerchard. — Alors…

Le Duc. — Ah ! peut-être… vous avez raison.

On frappe.

Guerchard. — Entrez.

Boursin, bas, lui remettant un pli. — C’est de la part du juge d’instruction.

Guerchard. — Donne… (Il lit.) Ah !…

Boursin sort à gauche.

Le Duc. — Qu’est-ce que c’est ?

Guerchard. — Rien… Je vous dirai ça.

Irma, entrant à droite.Mlle Kritchnoff demande à monsieur le duc un instant d’entretien.

Le Duc. — Ah !… Où est-elle ?

Irma. — Dans la chambre de Mlle Germaine.

Le Duc, allant vers la droite. — Bien, j’y vais.

Guerchard, au duc. — Non.

Le Duc. — Comment…

Guerchard. — Je vous assure…

Le Duc. — Mais…

Guerchard. — Attendez que je vous aie parlé !

Le Duc, il regarde le papier que Guerchard tient à la main, réfléchit, puis, lentement, d’une voix posée. — Eh bien, dites à Mlle Kritchnoff… dites que je suis dans le salon.

Irma. — C’est tout, monsieur le duc ?

Le Duc, même jeu. — Oui !… « Que je suis dans le salon… que j’en ai pour dix minutes. » Dites-lui exactement ça. (Sort Irma.) Elle comprendra que je suis avec vous… et alors… Mais pourquoi ?… je ne comprends pas.

Guerchard. — Je viens de recevoir ceci du juge d’instruction.

Le Duc. — Eh bien ?

Guerchard. — Eh bien ! C’est un mandat d’arrêt, monsieur le duc.

Le Duc. — Quoi !… un mandat… pas contre elle ?

Guerchard. — Si !

Le Duc. — Voyons,… mais ce n’est pas possible… l’arrêter !

Guerchard. — Il faut bien. L’interrogatoire a été terrible pour elle ; des réponses louches, embarrassées, contradictoires…

Le Duc. — Alors, vous allez l’arrêter ?

Guerchard. — Certes… Il va pour sonner.

Le Duc. — Monsieur Guerchard, elle est maintenant avec ma fiancée… Attendez au moins qu’elle soit rentrée dans sa chambre… Épargnez à l’une une émotion affreuse et à l’autre cette humiliation.

Guerchard. — Il le faut ! (Il sonne. À Boursin qui entre.) J’ai le mandat d’arrêt contre Mlle Kritchnoff… Le planton est toujours en bas, devant la porte ?

Boursin. — Oui.

Guerchard, appuyant sur les mots. — Dis-lui bien qu’on ne peut sortir que sur un visa de moi et sur ma carte.

Sort Boursin.

Le Duc, qui pendant ce temps est resté visiblement pensif. — Enfin, il faut l’arrêter… il faut l’arrêter…

Guerchard. — Dame ! vous comprenez, n’est-ce pas ? Croyez que, personnellement, je n’ai contre Mlle Kritchnoff aucune animosité. Elle me serait presque sympathique, cette petite.

Le Duc. — N’est-ce pas ? Elle a l’air si perdue,