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Dehors, des oiseaux chantèrent. La vie s’animait sous les vieux arbres que le printemps s’apprêtait à fleurir. Et Lupin, s’éveillant de sa torpeur, sentit peu à peu sourdre en lui une indéfinissable et absurde compassion pour la misérable femme — odieuse certes, abjecte et vingt fois criminelle, mais si jeune encore et qui n’était plus.

Et il songea aux tortures qu’elle avait dû subir en ses moments de lucidité, lorsque, la raison lui revenant, l’innommable folle avait la vision sinistre de ses actes.

— Protégez-moi… je suis si malheureuse ! suppliait-elle.

C’était contre elle-même qu’elle demandait qu’on la protégeât, contre ses instincts de fauve, contre le monstre qui habitait en elle et qui la forçait à tuer, à toujours tuer.

— Toujours ? se dit Lupin.

Et il se rappelait le soir de l’avant-veille où, dressée au-dessus de lui, le poignard levé sur l’ennemi qui, depuis des mois, la harcelait, sur l’ennemi infatigable qui l’avait acculée à tous les forfaits, il se rappelait que, ce soir-là, elle n’avait pas tué. C’était facile cependant : l’ennemi gisait inerte et impuissant. D’un coup, la lutte implacable se terminait. Non, elle n’avait pas tué, soumise, elle aussi, à des sentiments plus forts que sa cruauté, à des sentiments obscurs de sympathie et d’admiration pour celui qui l’avait si souvent dominée.

Non, elle n’avait pas tué, cette fois-là. Et voici que, par un retour vraiment effarant du destin, voici que c’était lui qui la tuait.

— J’ai tué, pensait-il en frémissant des