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“813”

— C’est bien simple. Le hasard t’a mis sur mon chemin, tu es jeune, joli garçon, poète, tu es intelligent, et — ton acte de désespoir le prouve — d’une belle honnêteté. Ce sont là des qualités que l’on trouve rarement réunies. Je les estime et je les prends à mon compte.

— Elles ne sont pas à vendre.

— Imbécile ! Qui te parle de vente ou d’achat ? Garde ta conscience. C’est un joyau trop précieux pour que je t’en délivre.

— Alors qu’est-ce que vous me demandez ?

— Ta vie !

Et, désignant la gorge encore meurtrie du jeune homme :

— Ta vie ! ta vie que tu n’as pas su employer ! Ta vie que tu as gâchée, perdue, détruite, et que je prétends refaire, moi, et suivant un idéal de beauté, de grandeur et de noblesse qui te donnerait le vertige, mon petit, si tu entrevoyais le gouffre où plonge ma pensée secrète…

Il avait saisi entre ses mains la tête de Gérard, et il continuait avec une emphase ironique :

— Tu es libre ! Pas d’entraves ! Tu n’as plus à subir le poids de ton nom ! Tu as effacé ce numéro matricule que la société avait imprimé sur toi comme un fer rouge sur l’épaule. Tu es libre ! Dans ce monde d’esclaves où chacun porte son étiquette, toi tu peux, ou bien aller et venir inconnu, invisible, comme si tu possédais l’anneau de Gygès… ou bien choisir ton étiquette, celle qui te plaît ! Comprends-tu ? comprends-tu le trésor magnifique que tu représentes pour un artiste, pour toi si tu le veux ? Une vie vierge, toute neuve ! Ta vie,