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LE MENDIANT NOIR

Lieutenant de Police. Et lui, non moins stupéfait, reculait en murmurant :

— Qui êtes-vous ? Qui êtes-vous ?

Car malgré la ressemblance de traits, les cheveux châtains de Constance faisaient un contraste frappant avec les cheveux blonds de Mlle de Verteuil. En outre, sous la mante entr’ouverte de la jeune fille apparaissait la pauvre robe de velours noir de la fille du mendiant.

Constance ne pouvait pas comprendre les paroles ou l’étonnement du Lieutenant de Police, mais elle voyait bien qu’il y avait eu méprise de sa part.

— Monsieur, dit-elle d’une voix frémissante, vous avez dû me prendre pour une autre… Je ne suis pas celle que vous pensez, laissez-moi m’en aller !

— Mais qui êtes-vous ?

— Constance… la fille du père Turin !

— La fille du père Turin… le mendiant ?

— Oui, monsieur, je suis une pauvre fille, comme vous voyez ! Ah ! où suis-je ici ?

— Chez le gouverneur, mademoiselle.

— Chez le gouverneur ! fit la jeune fille de plus en plus étonnée.

L’unique lampadaire qui, à ce moment, éclairait à demi le magnifique salon, permit à la jeune fille de voir, néanmoins, de belles choses qu’elle parut examiner d’un regard curieux et admiratif à la fois.

De son côté, le Lieutenant de Police considérait la jeune fille, et il était frappé de sa beauté virginale. Il la comparait à Philomène. Oui, quelle ressemblance !… C’étaient quasi les mêmes traits, le même nez, la même bouche, même front, même taille. Les yeux n’étaient pas pareils : ceux-ci étaient d’un beau bleu de saphir ; ceux de Philomène étaient bruns. Et la taille… il croyait y découvrir plus de souplesse. Les mains étaient exquises, très blanches, soignées, aux doigts roses et fuselés…

Gaston d’Auterive admirait… il demeurait en extase.

Gênée, la jeune fille lui dit :

— Monsieur, je veux m’en aller de suite !

Elle se leva, légèrement chancelante.

— Voulez-vous que je vous reconduise chez vous ? demanda poliment et galamment le Lieutenant de Police.

— Non, merci. Je m’en irai seule… Montrez-moi seulement la porte pour sortir d’ici !

— C’est bien, mademoiselle, venez. Mais avant, je vous fais mes excuses… c’est une méprise de ma part… dans l’obscurité je ne voyais pas bien !… Venez, je vous conduis.

Il la précéda vers la porte du vestibule.

Au moment où il poussait cette porte, une femme parut.

— Philomène !… murmura Gaston d’Auterive en s’effaçant.

Les deux jeunes filles se trouvèrent face à face. Elles se regardèrent curieusement, tremblantes toutes deux, gênées, surprises…

Constance, la première, bégaya :

— Ah ! vous êtes… ma sœur ?…

Philomène chancela… Elle voulut parler, sa voix mourut dans sa gorge. Mais elle réussit à murmurer :

— Non ! Non !

Et elle détourna la tête.

Constance s’élança vers elle, car la fille du mendiant n’avait pas entendu ce « non ! non ! » de la fille du riche commerçant.

— Tu es Philomène, et je suis Constance… Oui, tu es ma sœur !

Elle voulut la prendre dans ses bras.

— Non ! Non ! cria Philomène en se débattant, je ne suis pas votre sœur !

Constance s’arrêta net, elle devint livide, puis un lourd sanglot mourut sur ses lèvres. En même temps ses beaux yeux, si tendres, si caressants, se mouillaient de larmes.

À cette vue, Philomène se sentit bouleversée par une émotion intraduisible et elle se jeta tout à coup sur Constance, la saisit avec une sorte de furie sauvage et se mit à l’embrasser tout en pleurant aussi.

— Oh ! oui, murmurait-elle, tu es ma sœur, Constance, tu es ma sœur et je t’aime bien !

— Philomène !… balbutia Constance dans un délire de joie.

— Ah ! si j’avais su plus tôt, continuait Philomène en mêlant ses larmes à celles de Constance, mais je ne savais pas ! Comment aurais-je pu te reconnaître ? Nous étions si jeunes quand nous fûmes séparées ! Et puis, mon oncle… Ô mon Dieu ! quel mystère encore nous enveloppe ?…

— Il n’est plus de mystère, Philomène, répondit doucement Constance, nous sommes deux sœurs. Allons vite à notre père et notre mère. Pauvre mère ! ah ! Philomène, comme elle a été malheureuse depuis le jour où elle t’a perdue… Viens, Philomène, comme ils vont être contents de nous revoir, notre père et notre mère !

— Notre père… notre mère !… bégaya Philomène en proie à la plus intense émotion.

— C’est juste, sourit Constance, tu ne sais