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LA VALISE MYSTÉRIEUSE

Elle ajouta très ironique :

— Décidément, colonel, vous devenez flatteur !

— Et ça vous froisse ? ricana le colonel.

— Mais non… ça me fait rire.

De fait, Henriette riait… mais d’un petit rire de profonde moquerie.

Le colonel tressaillit. Ses yeux jaunes roulèrent dans leurs orbites, sa main serra fortement le “stick”, ses dents grincèrent… mais il réussit par un effort de volonté à calmer l’accès de fureur que le rire agaçant de la jeune fille avait fait naître en lui.

Très accaparée par sa besogne, Henriette ne regardait pas le colonel.

Et lui, ce colonel de contrebande, est-ce qu’il aimait par hasard cette jolie et fine Canadienne ? On l’aurait pensé.

Toujours est-il qu’un moment il demeura sombre et pensif, et fouettant plus rudement ses jambières jaunes.

Puis, il se pencha, et demanda, la voix presque menaçante :

— Henriette, me repoussez-vous positivement ?

Elle leva la tête, darda ses yeux noirs sur le colonel et répondit sèchement :

— Monsieur, vous connaissez ma pensée, c’est assez !

Et elle se remit à son travail.

James Conrad reparut et dit à son neveu :

— Philip, je suis maintenant libre.

Et, sans plus, il gagna son bureau.

Alors, le colonel se pencha davantage vers la jeune fille pour demander, sur un ton concentré :

— Henriette, dois-je penser que c’est votre dernier mot ?

Pour toute réponse, la jeune fille haussa les épaules avec irritation.

— C’est bien ! prononça le colonel.

Si la jeune fille eût levé ses yeux elle n’aurait pas manqué de surprendre dans les yeux jaunes de Philip Conrad une menace terrible.

Et, lui brusquement pénétra dans le cabinet de son oncle.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Eh bien, mon cher Philip, s’écria James Conrad avec un air joyeux et en indiquant un siège au colonel, l’affaire du Chasse-Torpille est bâclée !

— À votre avantage ?

— Un peu, oui. Mais aussi à celui de l’inventeur.

— Avez-vous acquis tous les droits comme vous m’en exprimiez hier l’intention ?

— Tous les droits, oui.

— Vous avez eu ça pour rien, j’imagine ?

— Pas du tout. L’affaire nous coûte cent mille dollars, à compte desquels nous avons versé vingt-cinq mille.

— Ne pensez-vous pas avoir payé trop cher les droits d’une invention dont les possibilités sont très problématiques ?

— Pas aussi problématiques que tu le penses, mon cher. Tu sais, comme moi, que les essais du petit modèle de l’inventeur ont été fort prometteurs.

— Sans doute. Mais il est un autre problème, celui de savoir si un modèle de dimension naturelle aura le même succès.

— Moi, je suis certain du succès.

— Et puis, poursuivit le colonel, votre versement de vingt-cinq mille dollars me parait offrir de gros risques.

— Pourquoi ?

— Je le trouve hasardé.

— Mais encore ?

— Supposons, par exemple, que ce Pierre Lebon se trouve être le plus audacieux des coquins et qu’il aille vendre ailleurs, pour une somme double de la vôtre, une invention en laquelle il n’a lui-même aucune foi.

— Ta supposition est insensée ! dit Conrad avec mépris.

— On a déjà vu se produire des faits plus étranges et plus invraisemblables.

— Tut ! tut ! tu divagues, mon cher.

— Oh ! ce que j’en dis, répliqua le colonel avec une indifférence affectée, c’est plutôt pour parler. Du reste, vos affaires ne me regardent pas. Seulement, je suis très désireux que vous réussissiez toujours dans vos entreprises. Et puis quant à ce Chasse-Torpille, du moment que vous en avez en main les plans.

— Oui, Interrompit Conrad, j’ai les plans… Tiens, dans cette enveloppe.

Conrad indiqua l’enveloppe jaune qu’il avait déposée dans son coffre-fort sous les yeux de Kuppmein.

Le colonel lança vers le coffre-fort un regard aigu et pensa :

— Bon ! Mais Kuppmein doit savoir aussi où sont ces plans, et il n’a, comme moi, qu’à connaître la combinaison de la serrure et ensuite qu’à tendre la main. Nous verrons, conclut-il, tandis qu’un éclair sillonnait ses prunelles jaunes.

Puis, tout haut il demanda avec la même indifférence :

— N’avez-vous pas aussi le modèle ?

— Pas encore, Lebon va nous l’apporter demain.

— En ce cas, tout va bien.

— À propos, fit Conrad en allumant un cigare, comment va le recrutement ?

— Il agonise, pour ne pas dire qu’il est mort, depuis que circule la nouvelle que le Premier Ministre va rapporter de Londres le projet d’un Bill qui va doter le pays d’un service militaire obligatoire.

— Que penses-tu de ces projets de conscription militaire ?

— Je pense que le tour sera bien fait pour envoyer au feu tous les “Frenchmen” de cette province.

— Hum ! fit Conrad avec un hochement de tête. Je crains fort que M. Borden ne se barre les jambes.

— Que voulez-vous dire ?

— Qu’il tombera, lui, et son Bill avec lui. Mais bah ! pour le moment, je crois la question oiseuse.

À cette minute Henriette entra apportant une pile de lettres nécessitant la signature de Conrad. La jeune fille, après avoir placé les lettres devant son chef, allait se retirer, lorsque Conrad la retint.

— Puis-je vous demander un service, mademoiselle ?

— Je suis à votre disposition, monsieur.