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caractéristiques de l’écriture, l’allure générale, la façon de tracer les lettres ne peuvent être changés ; certaines lettres caractéristiques ne peuvent être interverties. Et, de l’étude à laquelle je me suis livré sur ce fac-similé du bordereau, il résulte pour moi que, dans cette écriture, il y a un certain nombre de caractères absolument personnels.

Je vous citerai, par exemple l'M majuscule, qui est très particulière, la double s qui est très particulière également, et sur laquelle mon attention a été appelée tout d’abord, et pour une raison très topique que je ne dois pas vous cacher, messieurs les jurés, c’est que, moi-même, je fais la même double s que l’auteur du bordereau. Or, à quelle circonstance dois-je cette similitude entre mon écriture et l'écriture du bordereau ? Vous me permettrez de vous raconter ce petit fait de mon existence, ce sera très court, du reste.

Ayant vingt ou vingt-deux ans, j’ai été amené, en entrant à l’Ecole des Chartes, à copier pendant plusieurs mois, à transcrire des copies faites par un savant allemand, d’après des manuscrits anciens, copies excessivement exactes, pour ainsi dire calligraphiées, dont l’écriture avait un caractère très personnel.

Ces copies avaient été exécutées par un nommé Bussemacher. qui travaillait à cette époque en collaboration avec le savant d’Aremberg, et qui était chargé de la publication des médecins grecs et aussi des traductions, en latin du moyen âge, d’ouvrages de médecine grecque. Dans l’écriture de Bussemacher se trouvait cette double s que j’ai retrouvée dans le bordereau : et, de cette cohabitation pendant quelques mois avec l’écriture de Bussemacher, l’idiotisme de cette écriture est passé dans la mienne. D’autres idiotismes également se sont introduits dans mon écriture, comme, par exemple, la forme des x. C’est vous dire combien mon attention devait être appelée précisément sur l’un de ces idiotismes, que j’ai rencontré dans le bordereau.

J’ai été amené ensuite, après avoir examiné le bordereau, à le comparer avec les fac-similés qui ont été publiés dans différents journaux et dans les brochures de Bernard Lazare. Pour moi, la similitude est absolument complète entre l’écriture du bordereau et l’écriture du commandant Esterhazy. Je dirai même que si un savant, si un érudit, trouvant dans un volume de la Bibliothèque nationale, dans un de ces volumes que nous consultons tous si souvent, accolé à des lettres du commandant Esterhazy, l’original du bordereau, il serait pour ainsi dire disqualifié s’il ne disait pas que le bordereau et la lettre sont de la même écriture, sont de la même main, ont été écrits par le même personnage.

C’est ce que j’avais à dire, messieurs les jurés.

M. le Président. — Vous n’avez eu qu’un fac-similé des lettres du commandant Esterhazy ?

M. E. Molinier. — J’ai eu des fac-similés des lettres du commandant Esterhazy ; mais j’ai eu entre les mains de très