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vu beaucoup) celui-ci est le plus mauvais. Vous prétendez à l’infaillibilité et votre rapport est incontestablement faux. »

Enfin, Messieurs, si j’avais été l’artisan de la famille Dreyfus, pour venir « enfoncer la vrille,, comme le dit M. Teyssonnieres, évidemment il n’aurait pas attendu quatre jours, il m aurait prestement chassé de sa maison. Eh bien ! pas du tout !

Je ne logeais pas chez M. Teyssonnieres, j'étais dans une auberge. Au moment de mon départ, M. Teyssonnieres me dit : «Laissez-moi ; j’ai quelque chose à faire ; attendez-moi cinq minutes. » Il part.

Quand je revins à l’auberge, je demandai ma note. M. Teyssonnieres me dit : « Cher ami, je suis trop heureux de vous avoir eu ; j’ai tout payé. »

Ce n’était pas là la conduite d’un homme qui venait de recevoir des déclarations impudentes.

Quinze jours après, M. Teyssonnieres m'écrivit… J'ai sa lettre dans ma poche.

M. le Président. — Ne lisez pas de lettre ; laissez-la dans votre poche.

M. Crépieux Jamin. — Je ne la lirai pas, mais je la tiens a votre disposition.

Me Labori. — Le témoin peut en dire le contenu.

M. Crépieux-Jamin. - Cette lettre est extrêmement affectueuse. Ma visite était du 23 août ; c’était le 3 septembre que M Teyssonnieres me donnait ces marques d'affection. Si j'avais été chez lui pour le soudoyer, il serait curieux que quinze jours après, il m’eût écrit dans des termes pareils !

Plus tard, M. Teyssonnieres, poussé par je ne sais quel entraînement, livra toute ma correspondance à la Libre Parole, il s’agissait d’y trouver les quatre lignes qui, au dire de Laubardemont, peuvent faire pendre un homme. Ces quatre lignes on ne les a pas trouvées. J’en prends à témoin l'article de la Libre Parole qui dit : « Tout cela ne prouve pas que Dreyfus soit innocent ; cela ne prouve pas non plus qu’il soit coupable. »

Messieurs, quand on a fait une mauvaise action vis-à-vis de quelqu’un, on devient son pire ennemi. On aime la plante que l'on a fait vivre, mais on déteste l’ami auquel on a fait du mal. M, Teyssonnieres m’avait fait du mal : à partir de ce moment, il devenait mon ennemi.

Mais, voici la preuve de l’invention de M. Teyssonnieres !

Il livre ma correspondance à la Libre Parole pour prouver un fait contre moi. Et alors qu’il aurait eu un fait pareil dans son sac, il ne l’aurait pas sorti !.. Ce n’est pas raisonnable. S'il avait un reproche de ce genre à me faire, il n’aurait pas payé ma note à l’auberge, il m’aurait chassé de chez lui, ou il n aurait pas rempli son devoir d’honnête homme ! Il ne m'aurait pas écrit la lettre affectueuse que j’ai reçue ; il n’aurait pas été à la Libre Parole, sans livrer le fait capital, qui était autre chose que les potins de la correspondance !

M. Teyssonnieres a donc fait cette invention peu à peu. C'est