Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/492

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faire connaître d’une manière générale, en réponse à cette déposition, les points qui, à sa connaissance, peuvent intéresser MM. les jurés.

M. le Président, au témoin. — Vous avez entendu la question, résumez votre réponse en quelques mots.

M. Crépieux-Jamin. — En général, à la suite d allégations comme celles qui ont été faites contre moi, on est désarmé : il y a des sous-entendus, il n’y a pas de faits, il y a des insinuations vagues, des insinuations sans précision. Eh bien ! il n y pas là seulement une perfidie ; je me fais fort de prouver qu’il y a là une invention, un pur roman d’un bout à l’autre.

Tout d’abord, cette insinuation porte la marque de fabrique de son auteur : il n’y a qu’un seul homme qui estime M. Teyssonnières cent mille francs, c’est M. Teyssonmères lui-même. Lorsque je suis allé chez M. Teyssonnières, j'ignorais absolument son rapport, contrairement à ce qu’il dit quand il affirme que je l’avais vu un mois auparavant. Il m’invita à dîner et nous ne causâmes pas de l’affaire. Après dîner, M. Teyssonnière me dit : « Venez, nous allons parler de l'affaire. — De quelle affaire ? — De l’affaire Dreyfus. » Aujourd’hui, tout le monde comprendrait laffaire Dreyfus ; dans ce temps-là, on pouvait bien se voir sans parler de l’affaire Dreyfus.

Ma femme était en train de faire un petit travail. M. Teyssonlières lui dit d’un ton théâtral : « Madame, laissez-la ce que vous faites, je vais vous montrer des choses bien plus intéressantes ! » et, à ma stupéfaction, M. Teyssonnières dépouilla devant moi tout le dossier du premier Conseil de guerre. Nous fîmes de longues conversations sur ce dossier ; j’eus en mains toutes les pièces, qui étaient des pièces secrètes ; et M. Teyssonnières me dit : « Promettez-moi de ne rien dire. »

J'ai tenu ma promesse jusqu’à ce jour, et c’est aujourd'hui seulement, pour me défendre, que je dis : M. Teyssonnières m'a, montré le dossier qu’il tenait de je ne sais où, de je ne sais qui, et qu’il n’avait certainement pas le droit de me montrer.

Je me bornai à écouter M. Teyssonnières me raconter son rapport. M. Teyssonnières est extrêmement violent, il ne supporte pas aisément la contradiction et je vous assure que j'aurais été très mal venu, chez lui, à dire quoi que ce soit contre son rapport ; ce monsieur m’aurait tout simplement flanqué a la porte de chez lui, parce que ce sont ses façons habituelles. Aussi, pendant qu’il me montrait son rapport, je me tins dans l’expectative, mais je remarquai qu'à chaque instant, il me posait cette question : « Mais, enfin, vous êtes convaincu ? » — « Oh ! mon Dieu non ; et je vous assure que vos preuves ne sont pas des quarts de preuve ; il n’y a dans votre rapport absolument rien, qui puisse me convaincre. »

M Teyssonnières semble oublier quelque chose : il n est pas psychologue, il ne se doute pas que rien n’est plus difficile que de faire tenir debout un mensonge. Eh bien ! sa déposition est pleine d’inexactitudes, toutes les dates s’entremêlent, il me fait