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Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute.

« J’accuse enfin le premier Conseil de guerre d’avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second Conseil de guerre d’avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable.

« En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose.

« Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice.

« Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en Cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour ! »

Vous savez quelle est la réponse ; elle a commencé le jour où, après cinq journées et cinq nuits de délibérations et d’incertitudes M. le Ministre de la guerre a lancé cette plainte dont vous connaissez la portée, et elle se continue aujourd’hui par les conclusions qu’au nom de la partie plaignante et en son propre nom M. le Procureur général prend à la barre.

Et vous croyez que cela va étrangler le débat ? Allons donc c’est comme si l’on voulait se placer au milieu d’un torrent pour l’empêcher de couler… Le débat est ouvert. Si on voulait l’étouffer, il ne fallait poursuivre ni Perrenx ni Zola ; c’était votre droit ! Et en vérité l’opinion publique, à laquelle je parlerai, l’opinion publique qui n’est pas éclairée et qui, admirable de générosité et de bonne foi, mais aveugle, se fait actuellement le plus fidèle support des pouvoirs publics, l’opinion publique aurait peut-être encore donné ce jour-là son appui.

On a poursuivi M. Zola ! M. Zola est accusé, il va se défendre !

Est-ce bien sérieusement qu’on vient aujourd’hui nous dire : « Les trois paragraphes cités de cette longue lettre n’ont rien à voir ni avec l’intention profonde, la pensée générale, la conviction de M. Zola, d’une part, ni de l’autre avec l’ensemble de l’article et les autres accusations… » ? Est-ce que la Cour acceptera cela ?

Il y a entre les trois faits relevés par M. le Ministre de la guerre et l’ensemble des faits dont je viens d’avoir l’honneur de donner lecture à la Cour un lien étroit, je ne dis pas seulement de connexité, mais d’indivisibilité.

Tout d’abord, M. le commandant Esterhazy a été poursuivi