Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/465

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M. Tevssonnières. — C’est parfaitement exact.

M. Trarieux. — ... Cela, dans une expertise qui n’était pas encore commencée.

Je ne pouvais évidemment blâmer la mesure prise, et, quand le magistrat m’expliqua qu’il voulait faire un exemple, faire cesser un abus qui s’est trop souvent produit parmi MM. les experts-comptables au Tribunal civil, je ne pus qu’approuver et je n’eus pas à insister auprès de lui pour le faire revenir sur cette mesure.

Mais, en même temps que je l’approuvais, je me permis de lui faire observer qu’en définitive, il était notoire que d’autres experts, en diverses circonstances, avaient commis la même irrégularité, que c’était peut-être frapper d’une manière bien sévère, car M. Teyssonnières allait être atteint dans tout son avenir et qu’en outre, la mesure prise pouvait avoir des conséquences d’une certaine gravité, celles que j’indiquais tout à l’heure, et je lui demandai s’il verrait un inconvénient à ce que, dans une certaine mesure, je m’intéresse à lui.

M. le Président du tribunal ne l’en crut pas indigne, et c’est ainsi que je priai M. le Premier Président de la Cour d’appel de venir me voir. Je lui communiquai les faits et je lui demandai s’il verrait un inconvénient à accepter M. Teyssonnières sur la liste des experts de la Cour où le rôle des experts est beaucoup moins important qu’au tribunal. M. le Premier Président accepta et M. Teyssonnières fut inscrit à partir de cette date — je ne sais pas s’il y figure encore — au tableau des experts de la Cour d’appel.

M. Teyssonnières vit là un service rendu. Je croyais n’avoir accompli qu’un acte de bonne administration et d’équitable justice; mais enfin il me fut d’une extrême reconnaissance. Il m’a témoigné sa gratitude en plus d’une occasion; il est venu me la témoigner à domicile et j’ai reçu plusieurs fois ses visites dans le courant de l’année 1896, après ma sortie du ministère de la justice. (A M. Teyssonnières.) Elles ont été rares, il est vrai; vous êtes peut-être venu en 1896 trois ou quatre lois; je ne crois pas que vous soyez venu plus souvent.

Dans ces diverses visites, il fut fait allusion à l’affaire Dreyfus, et M. Teyssonnières m’affirma, avec une très grande conviction, que M. Dreyfus devait être coupable.

Je l’écoutai sans discuter avec lui, je n’en avais pas du reste, à cette époque, les éléments, car si vous vous le rappelez, Messieurs, j’ai eu l’occasion de vous dire que ce n’est guère que vers la fin de l’année 1896, lorsque l’Eclair fit publier son article du 15 septembre, qu’une première inquiétude sérieuse entra dans mon esprit, lorsque je vis affirmer que des pièces secrètes avaient été communiquées au Conseil de guerre, hors de la présence de l’accusé et de son défenseur.

J’ai eu l’occasion de vous dire que ce jour-là mon esprit fut rempli d’inquiétude; c’était la violation des droits les plus manifestes! Mais je n’avais pas encore toutes les preuves utiles