Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

incident, qui est le premier, ne sera pas le dernier. Nous devions nous attendre à ce qu’on vous offrirait à vous, à ce qu’on nous imposerait à nous, une discussion restreinte. M. le Ministre de la guerre l’a voulu, c’était son droit. Ce sera le nôtre à un moment donné, de nous demander quelles ont pu être les raisons profondes de l’exercice de ce droit dans les conditions où M. le Ministre de la guerre en a fait usage ?

Quoi qu’il en soit, c’était son droit, je n’y contredis pas. Mais je ne crois pas que l’étroitesse même de la plainte, dans laquelle il s’est renfermé, puisse avoir les conséquences qu’il a espérées et qu’il a voulu prévoir.

On vous a lu, Messieurs, l’assignation, on vous a lu les passages relevés.

Cependant, je demande à la Cour, pour laquelle au surplus j’ai l’honneur de plaider, puisqu’il s’agit ici d’une question de procédure qu’elle seule aura à juger, je demande à la Cour la permission de remettre sous ses yeux les dernières lignes de la lettre de M. Émile Zola :

« Mais cette lettre est longue, Monsieur le Président, il est temps de conclure.

« J’accuse le lieutenant colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique d’une erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.

« J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle.

« J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis.

« J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui a fait des bureaux de la guerre l’arche sainte, inattaquable.

« J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace

« J’accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme Varinard et Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement.

« J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans l’Éclair et dans l’Écho de